LES ÉTRENNES DES ORPHELINS
LA chambre, est pleine d’ombre ; on entend vaguement De deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encore alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève… - Au dehors, les oiseaux se rapprochent frileux ; Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ; Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant…
SENSATION
PAR les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
LE FORGERON
LE bras sur un marteau gigantesque, effrayant D’ivresse et de grandeur, le front vaste, riant Comme un clairon d’airain, avec tout sa bouche, Et prenant ce gros-là dans son regard farouche, Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour Que le Peuple était là, se tordant tout autour, Et sur les lambris d’or traînant sa veste sale. Or, le bon roi, debout sur son ventre, était pâle, Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet, Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait Car ce maraud de forge aux énormes épaules Lui disait de vieux mots et des choses si drôles, Que cela l’empoignait au front, comme cela !
SOLEIL ET CHAIR
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, Verse l’amour brûlant à la terre ravie, Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang ; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme, Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons, Le grand fourmillement de tous les embryons !
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Son œuvre poétique, Arthur Rimbaud le visionnaire (1854-1891) l’a composée entre sa dix-septième et sa dix-neuvième année. Son génie précoce et fugace, mélange de nostalgies d’enfance, d’hallucinations– certaines pièces ont été composées sous l’influence de la drogue— de détresses et de vertiges, a marqué toute la poésie du XXe siècle. Aucun de ses contemporains n’a compris ce révolutionnaire de la poésie, à l’exception de Verlaine, qui veillera à publication de son œuvre, et de Mallarmé, pour lequel ce précurseur fut « une aventure unique dans l’histoire de l’art. Éclat d’un météore, allumé sans motif autre que sa présence, issu seul et s’éteignant. » |
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