Seule une compagne osant les vraies questions et ne l'épargnant pas pouvait l'autoriser à fréquenter tout ce qu'il était, même les filigranes de sa personne. Sitôt qu'il fuyait les aspirations de sa moitié, Rivière se savait hémiplégique.

 

Avec ferveur, Alexandre avait donc espéré pendant sept ans que son mariage ferait de lui un mieux que lui. Il aspirait à se laver de son égoïsme, à se donner plus qu'à se prêter, à deviner les incomprises qui s'ennuyaient dans sa femme. Cette cure de vérité devait, il l'espérait lui révéler ses propres besoins, l'exonérer de la tentation d'être ordinaire et l'extirper de son existence moelleuse d'instituteur avachi sous les tropiques, aux Nouvelles-Hébrides exactement. Vers la trentaine, Rivière dut cependant convenir que leur amour, parti fringant et gravé de promesses, trempait désormais dans un égout de compromis. Lui, Alexandre Rivière, ne serait jamais le vrai nom du bonheur de Jeanne.

 

Possédée par des rancoeurs intactes qui avaient fini par lui coûter son sourire, Jeanne présentait désormais un regard en retrait, un visage clos. Le soir, très absente dans ses bras, elle lui faisait encore l'aumône  de son corps mais sans rien livrer d'elle-même. Au lit, toute en négligences hâtives, Jeanne ne l'entraînait plus vers cette malaria de désir qui, jadis, les essoufflait de volupté.

 

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Où est la vraie vie ? Cette question de jeune homme, qui rejette les émotions aquarellées, ne cessait de conduire Alexandre Rivière vers les femmes. L'amour, loin d'être une récréation, avait toujours été pour lui l'unique prétexte valable pour continuer d'exister, l'un des rares opiums capables d'atténuer son pessimisme joyeux.

 

Le dégoût d'être né l'avait saisi très tôt; seul son irrévocable penchant pour l'autre sexe l'en soulageait vraiment. Prisonnier de son officielle gaieté, Rivière agglomérait les plaisirs, distribuait autour de lui des occasions de jouir et de rire de tout, peut-être pour se persuader que vivre ne le chagrinait pas trop. Mais l'amour, à trente-deux ans, le tracassait comme une défaite annoncée.

 

Longtemps, la géographie des besoins de son épouse l'avait désorienté; puis, après s'être saupoudré dans des liaisons diverses, Alexandre avait admis qu'on ne rencontre les attentes d'une fille que pour trouver le vivant de la vie en essayant d'y répondre. Comme si les désirs essentielles de Jeanne, voire ses ressentiments, étaient ses plus grands maîtres à vieillir. Comme si, en touchant son dû d'intimité, sa femme le dédommageait de n'être qu'un homme.

Zone de Texte: Romans de la France
Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

À trente-deux ans, Alexandre Rivière découvre que Jeanne, sa femme, se sent seule dans leur mariage, incomprise, saturée de rancoeurs. Bouleversé de l'avoir si mal aimée, Rivière retombe amoureux de celle qu'il pensait connaître. Mais il est trop tard; Jeanne a trop souffert de l'aimer et ne croit plus en ses baisers. Alexandre quitte sa famille, les Nouvelles-Hébrides, son métier d'instituteur, et s'évapore brusquement. Deux ans plus tard, Octave Rivière - son frère jumeau - débarque dans l'archipel.

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