Bien entendu, pour être capable de raconter ou d’inventer un drame, il faut d’abord avoir souffert. En tout cas, c’est ce que disent les livres spécialisés sur le sujet. Le malheur, tu l’as ou tu ne l’as pas !
Le bonheur lui a toujours collé à la peau ne lui laissant pas le temps d’être malheureux. Les perturbations de l’esprit et les déchirements du cœur ne sont jamais intéressés à lui comme s’il en était indigne.
Il est vrai que le bonheur n’est pas un sujet attirant. On dirait qu’il fait vieux jeu, qu’il est « passé date », disent les anglicistes. Les médias l’ont compris : il en parlent rarement.
Ce qui amenait Zoé à dire que « dans ce monde de l’éphémère, du clip et du jeter après usage, les gens ont besoin de quelque chose qui soit solide, permanent, durable. Avec le malheur, on ne se trompe pas ! »
Décidément, Zoé se trouvait ridicule, passé de mode, hors d’ordre avec son bonheur et… avec un récit qui en ferait l’étalage !
Il n’arrivait pourtant pas à se rappeler ce qui, finalement, l’avait décidé à commencer à écrire son roman.
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Zoé a toujours eu envie d’écrire un roman, mais il n’arrivait jamais à l’enclencher. Il jugeait ses talents d’écrivain (et particulièrement de romancier) très limités. « Les mots ne me viennent pas facilement, je manque d’imagination, et les études de caractère et les introspections ne m’ont jamais attiré », déplorait-il. Celles-ci rebutaient aussi son père, Ferdinand. Homme simple et pratique, il avait l’habitude de dire que les introspections (qu’il appelait du « brassage de marde ») venaient de gens qui n’avaient rein d’autre à faire que « pelleter de la boucane ».
De plus, Zoé considérait la création littéraire trop astreignante pour s’engager dans l’ aventure d’un roman qui exigeait de longues sessions de travail. « Une période d’écriture qui dépasse une heure est, pour moi, un tourment, pour ne pas dire un calvaire ! Je consulte continuellement ma montre pour savoir combien il reste de temps au supplice. Quand ma séance est terminée, c’est comme une délivrance. Je peux enfin faire ce que j’aime, qui, dans les circonstances, est n’importe quoi sauf écrire. »
En fait, l’ultime raison, qui l’avait toujours empêché de créer une histoire romanesque, c’est qu’il n’avait pas de drame à raconter. Il était en manque de souffrance. |
Zoé est un homme heureux. Le bonheur lui a toujours collé à la peau. Professeur de français depuis de nombreuses années, sa profession le passionne. Francine, son amour de toujours, le comble de la réciprocité de ses sentiments: leur union est empreinte de respect, de complicité et de tendresse. Mais les étourderies de Zoé, dont il se moquait lui-même volontiers,deviennent de plus en plus angoissantes, faisant lentement place à une terreur soude, provoquée par un mal sournois.
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