- Qu'est-ce que j'ai fait ? Il ramassa sa poche : deux tranches de pain du midi, son couteau et des chaussettes au cas où il se serait mouillé les pieds.
- Qu'est-ce qu'il me veut, Gingras ? Il y avait de l'air puisque Bruno faisait de la buée en expirant. Mais on n'entendait rien. Les troncs secs des bouleaux qui se frottaient et c'était tout. Bruno fourra sa hache dans sa poche de jute sur laquelle se lisait encore l'inscription " Potatoes - Product of New Brunswick ". Il fit deux pas. Il n'y avait pas encore assez de neige pour marcher avec des raquettes.
- A l'heure qu'il est j'achevais ma journée ! Il aurait pas pu attendre, Gingras ?
Bruno se mit à éclabousser du bleu partout en marchant. Derrière lui, les traces de ses pas dans la neige s'emplissaient de silence. Une heure avant d'arriver au camp !
S'il est pas content de mon ouvrage, Gingras, qu'il le dise ! Bruno s'arrêta au beau milieu du chemin. Rien que des épinettes, des sapins et des bouleaux. Il tira sa pipe de sa poche.
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Un bleu de fin de jour. La neige commençait à se tasser au pied de bouleaux. Bruno Bellerose finissait de couper des repousses sur le tracé d'un chemin qui n'avait pas servi depuis plusieurs années. C'était sur la concession des McBride, à une heure de marche du camp, à six heures de camion du plus haut relais de la forêt, à quatre heures d'autobus ensuite de La Tuque, la ville la plus au nord, puis à deux heures de train de Trois-Rivières, d'où il fallait encore prendre le Jean-Nicolet, un bon petit bateau blanc, pour traverser le fleuve jusqu'au Port Saint-François, après quoi il restait encore une bonne demi-heure de marche pour arriver à la maison du père, si jamais il vous prenait l'envie de rentrer chez vous.
Bruno avait commencé son travail à la barre du jour, en bottines de feutre recouvertes de claques de caoutchouc, un bonnet d'étoffe sur la tête avec deux oreillettes de poil de lapin qui battaient l'air autour.
Seul. Bruno avait quinze ans. C'était en 1935. Le bleu s'entrouvrit. C'était le gros Gagnon. - Gingras veut te voir tout de suite ! Gagnon s'en retourna. Bruno était resté une patte en l'air.
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C’est le premier roman d’une séquence intitulée : Les fils de la liberté. Le Canard de bois propose une lecture très attachante d’un fragment de l’histoire des Patriotes. Le roman se compose de deux récits parallèles entremêlés, qui ne se boucleront qu’à la dernière page par le legs d’un canard de bois. Le premier récit décrit le retour à la maison paternelle, depuis les chantiers, et l’accession à la maturité, de Bruno Bellerose, descendant d’Hyacinthe Bellerose qui, cent années auparavant, avait participé à la rébellion des Patriotes et fera l’objet du récit principal. |
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