La mère, dans un lourd accent flamand, me présenta son fils, Roger Verhaegen, cinq ans et demi, bon petit garçon très doux, très docile, quand il le voulait bien - hein Roger ! - cependant que, d'une secousse, elle tâchait de le faire taire. J'avais déjà quelque expérience des mères, des enfants, et me demandai si celle-ci, forte comme elle pouvait en avoir l'air, n'en était pas moins du genre à se décharger sur les autres de son manque d'autorité, sans doute tous les jours menacé :"Attends, toi d'aller à l'école, pour te faire dompter."

 

J'offris une pomme rouge à Roger qui la refusa net, mais me l'arracha une seconde plus tard, comme j'avais le regard ailleurs. Ces petits Flamands d'habitude n'étaient pas longs à apprivoiser, sans doute parce qu'après la peur bleue qu'on leur en avait inspirée, l'école ne pouvait que leur paraître rassurante. Bientôt, en effet, Roger se laissa prendre par la main et conduire à son pupitre, en n'émettant plus que de petits reniflements.

 

Alors arriva Georges, un petit bonhomme silencieux, sans expression, amené par une  mère distante qui me donna les détails nécessaires sur un ton impersonnel et partit sans avoir même souri à son enfant assis à son pupitre.

 

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En repassant, comme il m'arrive souvent, ces temps-ci, par mes années de jeune institutrice, dans une école de garçons, en ville, je revis, toujours aussi chargé d'émotion, le matin de la rentrée. J'avais la classe des tout-petits. C'était leur premier pas dans un monde inconnu. A la peur qu'ils en avaient tous plus ou moins, s'ajoutait, chez quelques-uns de mes petits immigrants, le désarroi, en y arrivant, de s'entendre parler dans une langue qui leur était étrangère.

 

Tôt, ce matin-là, me parvinrent des cris d'enfant que les hauts plafonds et les murs résonnants amplifiaient. J'allai sur le seuil de ma classe. Du fond du corridor s'en venait à l'allure d'un navire une forte femme traînant par la main un petit garçon hurlant. Tout minuscule auprès d'elle, il parvenait néanmoins par moments à s'arc-bouter et, en tirant de toutes ses forces, à freiner un peu leur avance. Elle, alors, l'empoignait plus solidement, le soulevait de terre et l'emportait un bon coup encore. Et elle riait de le voir malgré tout si difficile à manœuvrer. Ils arrivèrent à l'entrée de ma classe où je les attendais et m'efforçant d'avoir l'air sereine.

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

"Or voici que le père Demetrioff plaça un gros doigt sous une de ces lettres boursouflées en poussant le petit dans le dos, et Demetrioff le dernier l'exécuta. Le père en choisit une autre au hasard, l'enfant l'exécuta aussi, mais en plus pur, en plus sobre, dans son style à lui qui avait quelque chose de classique. Alors le père se tourna vers la classe; il nous dévisagea de ses petits yeux luisants comme pour nous prendre à témoin que, sans l'ombre d'un doute, Demetrioff le dernier savait écrire. Pas plus qu'à l'enfant, il ne lui importait peut-être de connaître les lettres.    

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