Pauline et Babi, le voyant débouler après les neuf autres petits, fort et d’une belle vigueur, l’avaient nommé Tempête, sans se douter un instant que ce jour-là Babi coulerait au fond de l’eau.

 

Le ciel était clair, Babi riait, heureuse de reprendre la mer après des mois à bercer sa Marie. L’air était bon les voiles allaient bientôt gonfler sous le vent. Babi partait le cœur tranquille, et puis il y avait ce chien, tout petit mais si fort, qui les avait tant fait rire quand nous étions tous les quatre allés voir les chiots chez madame Blanc. Un chien pour Marie quand elle sera plus grande, m’avait murmuré Babi.

 

Marie souriait dans les bras de Pauline. C’était un beau dimanche. Le voilier avait pris la mer, filait de plus en plus vite sur la crête des vagues, toujours plus petit dans l’immense bleu étalé jusqu’à l’horizon.

 

Pauline avait regardé disparaître le bateau, nous avait regardés disparaître Babi et moi, les yeux plissés jusqu’à ne plus rien voir. Puis, là-bas, loin sur ce bleu dont on ne savait plus dire s’il était fait de ciel ou d’eau, le vent avait tourné, comme on tourne une page, comme on tourne la tête, le vent avait tourné tout simplement. Le bateau n’était pas rentré. On nous a cherchés des jours, des nuits, des semaines, on a fouillé les plages, attendu le retour des hélicoptères. 

   

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Marie avait sept mois quand, un dimanche, nous sommes sortis en mer, Babi et moi. C’était la première fois depuis la naissance de Marie que Babi remontait sur le grand voilier à la coque marine, vif et beau comme un dauphin. Comment aurait-elle pu se douter, la petite, couchée dans son berceau de toile, heureuse et endormie sous l’œil attendri de Pauline, que ni sa mère ni moi n’allions revenir de cette fantaisie de quelques heures, comment aurait-elle pu sentir qu’il se passait là-bas une bataille rangée entre une mer indomptable et son père à la barre? Trop petite pour parler ou savoir expliquer les choses, elle s’était éveillée d’un coup avait ouvert de grands yeux effrayés et tendu ses deux mains minuscules vers Pauline. Au moment même où elle ouvrait la bouche pour signaler sa frayeur, le grand voilier sombrait, Babi et moi, corps et biens, au fond de la mer déchaînée.

 

On a dit plus tard que le meilleur marin n’aurait pu prévoir ce revirement du temps. C’était un coup de la nature, il n’y avait rien à dire, ni en bien ni en mal. Comme dans les anciennes chansons de bord de mer, nous n’étions jamais revenus.

 

Deux heures avant le départ du voilier, le matin du naufrage chez madame Blanc à quelques kilomètres, le Chien était né, dixième d’une étonnante portée.

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Tout à l’heure il y avait la mer, il y a la forêt, et Marie qui rentre à la maison, quelqu’un qui a disparu et le Chien malade. Moi, je ne peux rien dire, pas un mot, pas une parole audible, tout ce que je sais faire, c’est murmurer la nuit, quand c’est possible, une histoire à l’oreille de Marie qui dort. Des histoires, il y en a plein la mer.

 

Marie, sa tante Pauline et Michel Collet, l’enfant de personne, forment une étrange famille. En compagnie du Chien, ils vivent dans la maison de la forêt, mais si près de la mer que ses brumes montent jusqu’à eux.

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