Et la nuit précédant les noces, il n’avait pas dormi une heure. Il en avait déduit qu’il s’en faisait pour son fils. Ou pour ce qui sonnait le glas de sa jeunesse à lui.

 

Simon bougea dans son lit, s’étira: il ne voulait pas troubler le plaisir de cette journée avec des angoisses vieilles de trois ans. Le soleil atteignait les premières volutes rose foncé qui précédaient l’oiseau sur le tapis. D’un seul mouvement il écarta les draps qui se gonflèrent, pleins d’eux-mêmes, avant de s’assoupir, et il se leva.

 

Il aimait être seul à la campagne. Cette maison le remplissait d’un tel bonheur, d’une telle quiétude qu’à chaque fois qu’il s’y trouvait seul il avait l’impression de s’offrir un cadeau magnifique, hors de ses moyens. Il sortit sur l’immense véranda et s’étira en s’agrippant aux poutres de soutènement. Il rit: Charlotte avait horreur de ce genre de gymnastique. Il profita de son absence pour ponctuer le mouvement illégal d’un large « ah! » à demi bâillé, à demi crié, quelque chose d’assez peu gracieux et, réjoui, il alla faire son café.

 

Le soleil éclaboussait la cuisine. Par les portes-fenêtres, Simon voyait une partie de ses roses dans l’immense jardin. Tout à l’heure, il faudrait les arroser pour les aider à passer la journée qui s’annonçait cuisante. Pas un souffle de brise dans le petit matin …

    

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Le vacarme des oiseaux, juste avant l’aube dans la grisaille chargée de rose qui pesait sur la nuit, l’avait déjà réveillé. Il avait passé la nuit à lutter contre l’envie de se lever, à se réveiller par à-coups se demandant s’il n’avait pas trop dormi, si l’heure n’était pas déjà passée.

 

Maintenant, le soleil prenait la chambre d’assaut. Il accédait, en un long rectangle lumineux sur le plancher brillant comme du miel, au petit oasis du tapis persan près de son lit. « Quand il sera sur la courbe mauve de l’oiseau central, je me lève », se dit Simon.

 

Il était encore beaucoup trop tôt et il le savait. Il n’avait même pas à vérifier sur le réveil. Trop tôt ce chant enthousiaste des geais bleus qui vidaient leur réserve de graines sous la fenêtre, trop tôt ce soleil jaune encore barbouillé de rouge qui s’alanguissait par terre, trop tôt, c’est sûr. Depuis longtemps il n’avait pas été aussi excité. Depuis le jour de son mariage en fait. Cette année-là (mais Dieu que c’était loin!), il avait eu son lot d’émotions fortes: le doctorat avec les derniers examens et le mariage avec Charlotte. Depuis, tout lui semblait avoir été calme, presque serein. Même les grandes décisions, même la naissance de David, même son mariage… non, pas son mariage tout de même. Le jour du mariage de David il n’avait même pas réussi à manger.  

Zone de Texte: Le plaisir de lire

J’avance lentement, mort, et ma vision n’est plus mienne, elle n’est plus rien: c’est seulement celle de cet animal humain qui a hérité sans le vouloir de la culture grecque, de l’ordre romain, de la morale chrétienne et de toutes les autres illusions qui forment la civilisation où, moi, je ressens. Où sont donc les vivants? FERNANDO PESSOA.

Avec cette histoire d’amour condamné, Marie Laberge saisit à bras-le-corps tous les tabous. Son livre est envoûté et envoûtant.

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Zone de Texte: Premiers paragraphes

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