complet de teinte brunâtre et d’inélégantes bottes noires. Cet accoutrement peu marin donnait à sa tournure épaisse un air d’élégance étrange et guindée. Une mince chaîne d’argent barrait son gilet, et jamais il ne quittait son navire pour aller à terre sans serrer dans son poing puissant et velu un élégant parapluie de toute première qualité, mais presque toujours déroulé.

 

- Permettez, capitaine, lui disait alors, sur un ton plein de déférence, le jeune Jukes, son second, qui l’escortait jusqu’à la passerelle.  

 

Et s’emparant dévotement du riflard, il en secouait les plis, leur redonnait de l’ordre et, autour de la tige qu’il tenait verticale, les roulait en un rien de temps; il accomplissait cette cérémonie avec un visage empreint d’une augurale gravité, et M. Salomon Rout, le mécanicien en chef qui envoyait la fumée de son cigare du matin par-dessus la claire-voie, détournait la tête pour cacher un sourire.

 

- C’est vrai! Le sacré riflard. Merci bien, Jukes, merci, grommelait le capitaine Mac Whirr, cordialement, sans lever les yeux, en reprenant le parapluie.

 

N’ayant d’imagination que tout juste ce qu’il en fallait pour le porter d’un jour à l’autre, et pas plus, il demeurait tranquillement sûr de lui, sans pourtant jamais se monter le coup.

     

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L’aspect du capitaine Mac Whirr, pour autant qu’on en pouvait juger, faisait pendant exact à son esprit et n’offrait caractéristique bien marquée de bêtise, non plus que de fermeté; il n’offrait caractéristique aucune. Mac Whirr paraissait quelconque, apathique et indifférent.

 

Tout au plus pouvait-on parler parfois de son apparente timidité; cela venait de ce que, à terre, il avait l’habitude, assis dans les bureaux maritimes, de rester les regards baissés et vaguement souriant. S’il relevait les yeux on remarquait que ces yeux étaient bleus et que leur regard était droit. Des cheveux blonds et extrêmement fins encerclaient d’un duvet soyeux le dôme chauve de son crâne, d’une tempe à l’autre. Sur sa face hâlée, par contre, le poil roux et flamboyant semblait une poussée de fils de cuivre coupés au ras de la lèvre; sur le plat des joues et d’aussi près qu’il se rasât, des lueurs de métal et de feu passaient dès qu’il tournait la tête.

 

Il était d’une taille plutôt au-dessous de la moyenne légèrement voûté et de membrure si vigoureuse que ses vêtements paraissaient toujours un rien étroits pour ses bras et ses jambes. Incapable de concevoir ce qui est dû aux différences de latitude, il portait toujours et partout un chapeau melon brun, un

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Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

Joseph Conrad navigue beaucoup et commence à écrire. Une crise de rhumatismes aiguë le terrasse tandis qu’il commande un vapeur sur le Haut-Congo. Il interrompt ses voyages en 1894, s’installe en Angleterre et publie son premier roman en 1895 : La Folie Almayer. Son œuvre comporte treize romans, vingt-huit nouvelles et deux recueils de souvenirs de voyages. Considéré comme l’un des meilleurs romanciers du vingtième siècle, il meurt en 1924.

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