d’histoires naturelles. Une jeune fille pourrait s’arrêter devant la maison et crier: « Es-tu prête? »; Hélène pourrait alors dévaler l’escalier, sortir, et enfourcher sa bicyclette. Mais ce n’est pas ça. Rien n’est vraiment joyeux, et rien n’est encore mort. Tout est seulement un peu parti, disparu, délavé.
Ici, dans la maison blanche de la rue Saint-Réal, au bord de la rivière des Prairies, tout près de l’île et de la voie ferrée, pas loin non plus de la prison de Bordeaux, se cache une douleur aussi secrète et inattendue qu’une photo de mariage dissimulée sous un grand cahier, au fond d’un tiroir fermé à clé.
Hélène a quinze ans; elle se tient debout au centre d’un monde tout à fait ordonné.
Elle va à son bureau et vérifie une autre fois que son tiroir est bien verrouillé.
C’est fini, pense-t-elle encore.
Un peu plus tôt, Samuel a chanté avec toute la classe une chanson d’adieu à son professeur de maternelle. Il faisait mine de suivre mais, dans sa tête, il allait beaucoup plus vite que les autres. Il savait qu’Hélène l’attendait: elle aussi finissait l’école aujourd’hui. Il savait que Lisa allait rentrer la dernière et que la maison leur appartiendrait...
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C’est fini pensa-t-elle. Elle a rangé ses livres d’école. Elle a passé un linge humide sur chacun de ses meubles. Elle regarde maintenant sa chambre, satisfaite.
Hélène aime que les choses soient finies, un souper de famille, un mois, une année. Elle aime que le pire soit couché derrière elle. Aujourd’hui, le pire s’est éteint avec la dernière heure du dernier jour d’école.
Chaque meuble, chaque objet dans sa chambre représente une partie d’elle-même, une section nette et lisse de ce qu’il y a dans son âme.
L’intérieur de son corps doit être ainsi: une chambre carrée contenant des formes géométriques invariables. Un lit, une commode, une bibliothèque. Pas de saleté. Rien de criant.
Elle passe une main sur son visage, puis sur toute la longueur de son corps. Est-ce moi? Est-ce tout à fait moi? Elle va à la fenêtre, l’ouvre, et se penche pour voir la rivière. Ensuite, elle tourne la tête vers la rue. C’est une si petite rue.
En regardant trop vite, on pourrait se méprendre et croire que c’est la rue d’un quartier presque mort, figé dans une autre époque. On pourrait se figurer que tout y est tranquille et simple, et rempli |
Aînée d’une famille au bord de l’éclatement, Hélène s’initie le temps d’un été aux ambiguïtés de l’amour et à la dureté du monde, au poids du corps et aux impitoyables mensonges de l’âme humaine.
Un roman magnifique par l’auteure du Bruit des choses vivantes, d’une grande puissance contenue, qui confirme la force de sa voix romanesque et l’unicité de son univers littéraire.
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