Tu marcheras jusqu’à la foule, sans savoir exactement pourquoi, curieuse de voir une page d’histoire qui vit encore, des couleurs brillantes qui tournoient dans le ciel.

 

Le biplan tombe en vrille, sur trois cents mètres, la tornade se faisant plus dense, plus serrée, plus bruyante à chaque seconde.

Jusqu’à… maintenant.

Je repousse le manche en avant, relève le pied gauche et enfonce énergiquement le palonnier du côté droit. Encore un tour, deux, puis l’avion cesse de vriller pour plonger tout droit, aussi vite que possible.

 

Elle sera là aujourd’hui, parce qu’elle est seule, elle aussi. Parce qu’elle a appris tout ce qu’elle voulait apprendre seule. Parce qu’il y a une personne au monde qu’elle est amenée à rencontrer, et que cette personne est en ce moment aux commandes de cet avion.

 

Virage serré, manette tirée, moteur coupé, hélice arrêtée… descendre en planant, flotter sans bruit jusqu’au sol, s’arrêter devant la foule.

« Je la reconnaîtrai quand je la verrai, pensai-je, je la reconnaîtrai aussitôt. »

 

Autour de l’avion, des hommes et des femmes, des familles, des gosses sur des vélos, qui regardaient. Deux chiens, près des enfants.

 

Je sors du cockpit, regarde les gens et les aime. J’écoutais ma propre voix, avec un détachement curieux, en même temps que je la cherchais dans la foule.       

      

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Elle sera là aujourd’hui.

Je regardais par le cockpit, à travers le vent et le souffle de l’hélice, à travers un kilomètre d’automne, le champ que j’avais loué, le petit morceau de sucre qu’était ma pancarte- $3 le tour— attachée à la clôture ouverte.

 

Les voitures s’entassaient des deux côtés de la route, autour de la pancarte. Il y en avait bien une soixantaine, avec une foule de gens venus voir l’avion voler. Elle pouvait être là à cet instant précis. L’idée me faisait sourire. Peut-être était-elle là !

 

Je tire la manette des gaz, fais remonter le nez du biplan Fleet, laisse les ailes décrocher. Puis j’écrase le palonnier, à gauche, et tire à fond le manche à balai.

 

Le sol verdoyant, couvert de maïs et de soja, de fermes et de prés, explose dans le tourbillon d’une vrille acrobatique, de ce qui, vu du sol, semblerait une vieille machine volante dont on aurait soudain perdu le contrôle.

 

L’avion pique du nez, la terre forme une tornade de couleurs qui tourbillonne de plus en plus vite autour de mes lunettes.

 

Depuis combien de temps suis-je à ta recherche, femme sage, mystique, belle? Aujourd’hui enfin, le hasard t’amènera à Russel, Iowa, te prendra par la main, te conduira dans ce champ de luzerne.

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Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes 
du roman

« Depuis combien de temps suis-je à ta recherche, femme sage, mystique, belle? Aujourd’hui enfin, le hasard t’amènera à Russel, Iowa, te prendra par la main, te conduira dans ce champ de luzerne. Tu marcheras jusqu’à la foule, sans savoir exactement pourquoi, curieuse de voir une page d’histoire qui vit encore, des couleurs brillantes qui tournoient dans le ciel! »

Richard gagne sa vie en faisant partager aux autres ses acrobaties aériennes. Mais son plaisir toujours renouvelé de s’élever vers les cieux cache une grande solitude. Car à chaque nouveau vol, l’aviateur espère que, dans la foule pressée à terre pour l’admirer, se trouve celle qui saura l’aimer et combler le vide affectif de son quotidien.  

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