d’air où, en mettant un miroir, on découvrait les étoiles. Comme un moyeu de roue, elle passait entre les étages en distribuant des ronds de chaleur, puis elle débouchait à l’extérieur, raide comme une sentinelle à panache et fumait, cheveux au vent, près d’une échelle grise, couchée. L’échelle grise et la petite porte noire de suie n’étaient pas pour l’usage des hommes, nous avait-on appris mais pour un vieillard en rouge qui, l’hiver sautait d’un toit à l’autre, derrière ses rennes harnachés de blanc.

 

De bas en haut, de haut en bas, notre chez-nous était habité : par nous au centre, comme dans le cœur d’un fruit; dans les bords, par nos parents; dans la cave et la tête, par des hommes superbes et muets, coupeurs d’arbres de leur métier. Sur les murs, les planchers, entre les poutres, sous l’escalier, près des tapis, dans le creux des abat-jour, vivaient les lutins, le bonhomme sept-heures, les fées, les éclats de chant, Lustucru, les échos de jeux ; dans les veines de la maison, courait la poésie.

 

Nous avions la chaise pour nous bercer, le banc pour faire la prière, le canapé pour pleurer, l’escalier à deux marches pour jouer au train; aussi, de ces jouets savants que nous n’osions toucher, telle cette bête à deux fils, au long bec, sonnerie au front qui conversait avec les grandes personnes. Un prélart fleuri devenait un parterre; un crochet, c’était l’écrou pour rouler les câbles de nos bateaux imaginaires; les escaliers servaient de glissoires; les tuyaux le long du mur, de mâts; et les fauteuils, de scènes où nous apprenions avec les chapeaux, les gants et les paletots des aînés, les grimaces que nous faisons aujourd’hui sans rire.

      

Page d’accueil  Romans du Québec

Nous sommes tous nés, frères et sœurs, dans une longue maison de bois à trois étages, une maison bossue et cuite comme un pain de ménage, chaude en dedans et propre comme de la mie.

 

Coiffée de bardeaux, offrant asile aux grives sous ses pignons, elle ressemblait elle-même à un vieux nid juché dans le silence. De biais avec les vents du nord, admirablement composée avec la nature, on pouvait la prendre aussi, vue du chemin, pour un immense caillou de grève.

 

C’est en vérité une têtue, buveuse de tempêtes et de crépuscules, décidée à mourir de vieillesse comme les deux ormes, ses voisins.

 

Elle tournait carrément le dos à la population et à la ville pour ne pas voir le quartier neuf où poussaient de ces petites demeures éclatantes, fragiles comme des champignons. Face à la vallée, boulevard de la fauve Saint-Maurice, notre maison fixait comme en extase la lointaine caravane des monts bleus là-bas, sur lesquels se frappaient des troupeaux de nuages et les vieux engoulevents qui n’avaient pu sauter.

 

Rouille sur le flanc, noir sur le toit, blanc autour des fenêtres, notre lourd berceau se tenait écrasé sur un gros solage de ciment, rentré dans la terre comme une ancre de bateau pour bien nous tenir; car nous étions onze enfants à bord, turbulents et criards, peureux comme des poussins.

 

Une grande cheminée de pierres des champs, robuste, râpeuse, prise dans le mortier lissé à la truelle, commençait dans la cave près des fournaises  ventrues, par-dessus la petite porte à courants   

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Nous sommes au début du siècle dans une petite ville située aux marches du Québec habité. Un enfant de 12 ans fait l’apprentissage de la vie. Chaque rencontre, chaque expérience contient sa leçon. L’amitié, l’amour, la mort, la misère, mais aussi le bonheur lui sont tour à tour révélés. Et la nature vierge, où on peut s’échapper, est aux portes de la petite ville  pionnière… Mais très vite—trop vite– arrive le moment où l’enfance devient « comme un vêtement trop étroit » qu’il faut quitter. Félix Leclerc fait ici la preuve qu’il savait mieux que personne magnifier la vie, celle des humains et celle de la nature. Cette chronique des jours heureux est aussi un tendre chant du monde.

Zone de Texte: Romans du Québec
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

Retour à la page d’accueil