Une maison de planches mal équarries, au bord de la rivière. Tout autour, une sorte d’enclos d’herbe pelée. Des bâtiments vagues à moitié écroulés. Des champs en bordure de la forêt. De la route, on entend parfois pleurer l’enfant d’Aurélien. En vain des femmes du village se sont-elles offertes, Aurélien a choisi de s’occuper lui-même de la petite créature sortie d’une fontaine de sang, entre les cuisses de sa mère mourante.

 

Parfois le soir, lorsque Clara dormait dans son berceau de bois, une sorte d’ombre mauvaise qui n’était pas celle de la nuit encerclait la maison, pénétrait à l’intérieur, gagnait la poitrine d’Aurélien, lui serrait le cœur dans un étau. Il se disait alors qu’il était enfermé dans l’injustice comme dans une prison et qu’il ne pourrait jamais s’échapper.

 

Le temps des langes et des biberons passa sans trop d’encombre. Des cordées de linge d’enfant s’étendaient, une fois par semaine, entre deux arbres rabougris. Le reste du temps, Clara, dans ses langes, sentait très fort l’urine et le lait sur.

 

Aurélien emmenait sa fille partout avec lui, roulée dans une veste de laine décolorée qui avait été bleue autrefois. 

        

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Cela s’est produit brusquement, d’une façon fulgurante. Une sorte d’illumination sauvage a saisi Aurélien Laroche. Dans cette lumière crue, plus rien ne subsistait de ses croyances anciennes. Soudain tout a été dévasté en lui, comme un champ d’herbe livré au feu. Présent, avenir, passé, éternité ont été abolis d’un coup. Ni Christ, ni Église, ni rédemption, ni résurrection de la chair, Aurélien avait perdu la foi ainsi qu’on perd la clef de sa maison et on ne pourra jamais plus rentrer chez soi.

 

Aurélien se tenait debout au bord de la fosse fraîchement comblée, en habit noir de noces et de deuil, le chapeau à la main. On était en juillet.

 

Il faisait grand soleil sur ses paupières baissées. À ses pieds, des fleurs saupoudrées de sable marquaient l’emplacement où reposait sa femme, dans le cimetière, au bord de la rivière.

 

La séparation avait eu lieu. Il ne restait plus à Aurélien qu’à rentrer chez lui, au petit trot de son vieux cheval. Éviter à tout prix que tous ces gens massés derrière lui ne lui tendent la main et lui offrent des condoléances. Son jeune visage aux larmes sèches n’ est plus à voir et à regarder d’ici qu’il atteigne son âge définitif de pierre morte.    

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Longtemps Clara a été une fille qui grandissait dans le silence de son père et les voix de la campagne solitaire autour d’elle Un jour, Mademoiselle l’institutrice du village, est venue la chercher pour l’emmener à l’école. Et le monde a paru s’ouvrir devant Clara. Pour mieux se refermer ensuite. À cœur de jour, à cœur de nuit passèrent les années. Clara a quinze ans.

Quelque chose s’est alors décidé dans la campagne noyée de pluie, quelque chose de sourd et d’aveugle, de terriblement opaque, dont elle ne voyait ni le commencement ni la fin qui la concernait. Cet été-là, alors que c’était la guerre dans les vieux pays, Clara s’est mise à surveiller par la fenêtre la montée de la rivière devant sa maison, comme on épie, de l’œil, le lait qui bout sur le feu.

Le Lieutenant anglais surgit alors...

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