Le vide de son visage est extrême alors qu’elle s’imagine, sous ses paupières fermées, la disparition possible de la ville, et nul ne pourrait se douter de l’agitation profonde qui la possède. Seule sa pâleur pourrait la trahir si seulement quelqu’un, dans la foule des voyageurs, s’avisait de faire attention à elle.

 

Elle semble fascinée par l’usure qui blanchit le bord des poches de son manteau noir.

 

Elle lève les yeux.

Un petit point lumineux clignote et indique la porte 82.

Il va falloir traverser l’Atlantique, durant de longues heures, et aborder quelque part en Amérique du Nord, avant que le nom redouté ne soit visible sur un tableau d’affichage, en toutes lettres, comme un pays réel où elle est convoquée pour jouer un rôle au théâtre.

 

Une fois l’océan franchi, elle n’aura plus qu’à attendre la correspondance. À moins qu’elle ne prenne le train.

 

Deux lettres ont suffi pour qu’elle entreprenne ce long voyage et revienne  à son point de départ, là où elle s’était juré de ne plus jamais remettre les pied; un mot, un appel plutôt, de sa fille Maud et deux lignes du directeur de l’Emérillon lui proposant de jouer Winnie dans Oh! les beaux jours.

 

Rien à déclarer, pense-t-elle, franchissant le contrôle de police, d’un pas léger, rechargeant son sac sur son épaule avec la poudre, les fards, le miroir indispensable à toute image d’elle redessinée.

  

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Deux lettres venant d’une ville lointaine, postées à quelques heures d’intervalle, dans des quartiers différents, par des personnes différentes, la joignent  en même temps, dans sa retraite de Touraine et décident de son retour au pays natal.

 

L’état civil affirme qu’elle se nomme Pierrette Paul et qu’elle est née dans une ville du Nouveau Monde, le jour de la fête de Saint Pierre et Saint Paul, tandis que des affiches, dispersées dans les vieux pays, proclament que les traits de son visage et les lignes de son corps appartiennent à une comédienne, connue sous le nom de Flora Fontanges.

 

Elle a relevé le col de son manteau de drap noir et caché soigneusement ses cheveux sous un carré de soie, noué sous le menton. Hors de scène, elle n’est personne. C’est une femme vieillissante. Ses mains nues. Sa valise usée. Elle attend patiemment son tour pour enregistrer ses bagages. Elle a l’habitude. Tous les aéroports se ressemblent. Et les points d’arrivée sont pareils aux points de départ. On pourrait croire que pour cette femme une seule chose est nécessaire, le rôle qui l’attend au bout d’une piste anonyme, balisée de lampes bleues, quelque part entre le ciel et terre.

 

Le nom de la ville de son enfance n’est pas affiché au tableau des départs. Le numéro du vol, la porte d’embarquement, le point d’atterrissage, tout y est, sauf… Depuis le temps qu’elle l’a quittée, d’ailleurs, peut-être la ville s’est-elle résorbée sur place comme une flaque d’eau au soleil?

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C’est une ville au bord d’un fleuve. C’est une femme vieillissante qui y revient. Elle avait cru pourtant, à tout jamais, avoir abandonné cette ville et son enfance. Or, voici que la ville l’appelle, lui offre un rôle, car cette femme est actrice. Tour à tour, Célimène, Ophélie, Phèdre, ou Jeanne, elle a passé sa vie à se dédoubler, à être une autre. L’état civil prétend qu’elle s’appelle Pierrette Paul. Elle revendique le nom de Flora Fontanges, qu’elle a choisi entre tous, le reprenant entre chaque rôle comme son bien propre. 

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Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

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