De l’autre côté, le paysage présente un aspect lunaire. La carrière s’ouvre dans le sol comme un éblouissant cratère. Pour s’en approcher, il faut passer près d’anciens fossés que l’eau emplit la plupart du temps, et que voilent des rideaux de quenouilles derrière lesquels des petits poissons paniquent pudiquement, parce que la terre est en train de boire tout, et que le sol est soûl. Ensuite, je me tiens sur le bord de la carrière, je la domine du haut d’impressionnantes falaises de calcaire. Et là, l’eau me saute à la face, étreint mes yeux brûlés par le sel, turquoise comme une mer du sud, pure comme un lac du nord, comme si un glacier avait fondu précisément là, la seconde ou le siècle d’avant, après s’être labouré un lit. Alors je deviens fou, je danse comme un sorcier indien sur le bord du précipice, je me mets à poil et je plonge dans le vide, le long de la paroi à pic, en poussant des cris de guerre, et ça fait un puissant plouf dans l’onde de choc glacée.

 

Tant que dure cette immersion lustrale, ce bain jusqu’au cou de la régénération translucide de l’eau verte, je me sens incorruptible comme un mammouth sous sa gangue de glace. Mais quand j’entends venir l’hélicoptère, je sais qu’il est temps de décamper. J’enfile mes vêtements sans me sécher, j’entame un sprint en direction de la clôture, je sens la grosse libellule se rapprocher dans mon dos. Si elle était équipée d’une mitrailleuse, si j’étais un vrai rebelle dans un vrai désert, je n’aurais aucune chance.

          

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Les Jumbos Jets me servent de girouettes. Quand ils se fondent dans l’horizon austral, leur strict profil d’insecte brouillé par les ondulations de l’air surchauffé, c’est que le vent reste ancré au sud-ouest. Il fait un temps à mettre tous les chiens dehors, la chien-étoile de la chaleur, est la cerbère d’une voûte embrasé. Le pays se dessèche, la campagne craque de partout et les fentes qui crèvent la terre durcie réclament à boire comme des bouches écrasées.

 

Ça me fait rêver au Sahel, à tous les trous que les sourciers africains doivent creuser pour retrouver la vie. Moi, je n’ai pas besoin de fouir le sol pour me rafraîchir. Comme un grand verrat visionnaire ayant flairé une truffe, Mirabel a fouillé la terre pour moi. J’enfourche Tinorossinante, ma fière bécane, et après avoir franchi la Rivière-du-Nord sur le vieux pont de fer, je prends le rang Saint-Rémi, je roule sur les rats musqués écrabouillés que la sécheresse a lancés sur les routes, je m’engage sur un bout de chemin asphalté qui mène officiellement nulle part, puis je dissimule mon vélo dans des fourrés ombreux, et, à quatre pattes, comme un renard, je me faufile sous la grande clôture de métal interdisant l’accès du pays exproprié. C’est écrit : NO TRESPASSING. FEDERAL PROPERTY.    

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Courant au devant de lui, il y a Hospadar, le gros cabot. Plus prudente, branlant la queue et reniflant le sol, la chienne Icoglan lui colle plutôt aux talons. Édouard Malarmé, squatter de son métier, explore les terres expropriées de Mirabel pendant que les avions crachent le feu et grondent dans le ciel. Édouard s’en fout. Ce royaume lui appartient. Il en a pris possession au grand dam de la reine d’Angleterre. Il y règne en roi et maître. Du moins il le croit jusqu’au moment où il rencontre Christine Paré dont les seins éclatent comme des grenades dans le bunker de son imaginaire. À partir de ce moment, c’est la rage qui le poursuit. Celle des chiens, celle des renards, son animal fétiche, celle des humains aussi. La sienne peut-être...

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