deux hommes, assis en face l’un de l’autre, de chaque côté du foyer, chacun sur le bout de son banc : l’un déjà âgé, sec, assez grand, avec des petits yeux clairs enfoncés dans des orbites sans sourcils, sous un vieux chapeau de feutre ; l’autre beaucoup plus jeune, ayant de vingt à vingt-cinq ans, et qui avait une chemise blanche, une veste brune, une petite moustache noire, les cheveux noirs et taillés court.

 

«  Voyons, voyons, disait Séraphin… Comme si tu étais à l’autre bout du monde… Comme si tu allais être séparé d’elle pour toujours… »

 

Il hocha la tête, il se tut.

 

C’est qu’Antoine n’était marié  que depuis deux mois et il importe de noter tout de suite que ce mariage ne s’était pas fait sans peine. Orphelin de père et de mère, il avait été placé à treize ans comme domestique dans une famille du village, tandis que celle qu’il aimait avait du bien. Et longtemps sa mère à elle n’avait pas voulu entendre parler d’un gendre qui n’aurait pas apporté au ménage sa juste part. Longtemps la vieille Philomène avait secoué la tête, disant :  « Non ! » Qu’est-ce qui se serait passé si Séraphin n’avait pas été là, c’est-à-dire tout à fait à la place qu’il fallait et important à cette place, car il était le frère de Philomène, femme Maye, qui était veuve, et, n’étant pas marié c’était lui qui menait le train de sa sœur ? Or, Séraphin avait pris le parti d’Antoine ; et il avait fini par avoir le dessus.       

      

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IL tenait de la main droite une espèce de long bâton noirci du bout qu’il enfonçait par moments dans le feu; l’autre main reposait sur sa cuisse gauche.

 

C’était le 22 juin, vers les neuf heures du soir. Il faisait monter du feu avec son bâton des étincelles; elles restaient accrochées au mur couvert de suie où elles brillaient comme des étoiles dans un ciel noir.

 

On le voyait mieux alors, un instant, Séraphin, pendant qu’il faisait tenir son tisonnier tranquille; on voyait mieux également, en face de lui, un autre homme qui était beaucoup plus jeune, et lui aussi était accoudé des deux bras sur ses genoux remontés, la tête en avant.

 

« Eh bien, disait Séraphin, c’est-à-dire le plus vieux, je vois ça… Tu t’ennuies. »

Il regardait Antoine, puis s’est mis à sourire dans sa barbiche blanche : « Il n’y a pourtant pas s’y longtemps qu’on est montés. »

 

Ils étaient montés vers le 15 juin avec ceux d’Aïre, et une ou deux familles d’un village voisin qui s’appelle Premier : ça ne faisait pas beaucoup de jours, en effet.

 

Séraphin s’était remis à tisonner les braises où il avait jeté une ou deux branches de sapin; et les branches de sapins prirent feu, si bien qu’on voyait parfaitement les    

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Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes

Il y a une semaine à peine qu’Antoine est monté avec Séraphin, son oncle par alliance, à l’alpage de Derborence, mais il se languit déjà de sa jeune femme Thérèse. C’est vrai qu’ils ne sont mariés que depuis deux mois et que la montagne est impressionnante pour qui n’a pas l’habitude de vivre dans les hauteurs. Séraphin lui explique avec indulgence les bruits et craquements effrayants qui rompent parfois le silence. Derborence est une combe en contrebas du col d’Anzeindaz, au pied du glacier qui dominent les Diablerets. Là-haut, le Diable et ses diablotins s’amusent parfois à jouer au palet et quand ils manquent leur coup, la pierre dévale la moraine. Puis la nuit s’avance, toute claire, et Antoine s’endort.

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