De quoi vivait-elle? De la pêche? Nous ne le pensons pas. Elle trouvait des aliments dans l’armoire et le garde-manger de la cuisine et même de la viande tous les deux ou trois jours. Il y avait aussi pour elle des pommes de terre, quelques légumes, des œufs de temps en temps.

 

Les provisions naissaient spontanément dans les armoires. Et quand l’enfant prenait de la confiture dans un pot, il n’en demeurait pas moins inentamé, comme si les choses avaient été ainsi un jour et qu’elles dussent en rester là éternellement.

 

Le matin, une demi-livre de pain frais enveloppé dans du papier, attendait l’enfant sur le comptoir de marbre de la boulangerie, derrière lequel elle n’avait jamais vu personne, même pas une main, ni un doigt poussant le pain vers elle. Elle était debout de bonne heure, levait le rideau de métal des boutiques (ici on lisait: Estaminet et là: Forgeron ou Boulangerie Moderne, Mercerie), ouvrait les volets de toutes les maisons, les accrochait avec soin à cause du vent marin et, suivant le temps, laissait ou non les fenêtres fermées. Dans quelques cuisines elle allumait du feu afin que la fumée s’élevât de trois ou quatre toits.

 

Une heure avant le coucher du soleil elle commençait à fermer les volets avec simplicité. Et elle abaissait les rideaux de tôle ondulée.

 

L’enfant s’acquittait de ces tâches, mue par quelque instinct, par une inspiration quotidienne qui la forçait à veiller à tout. Dans la belle saison, elle laissait un tapis à une fenêtre ou du linge à sécher, comme s’il fallait à tout prix que le village eût l’air habité, et le plus ressemblant possible.

  

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Comment cela tenait-il debout sans même être balloté par les vagues ? Et cette enfant de douze ans si seule qui passait en sabots d’un pas sûr dans la rue liquide, comme si elle marchait sur la terre ferme ? Comment se faisait-il… ?

 

Nous dirons les choses au fur et  à mesure que nous les verrons et que nous saurons. Et ce qui doit rester obscur le sera malgré nous.

 

À l’approche d’un navire, avant même qu’il fût perceptible à l’horizon, l’enfant était prise d’un grand sommeil, et le village disparaissait, complètement sous  les flots. Et c’est ainsi que nul marin, même au bout d’une longue-vue, n’avait jamais aperçu le village ni même soupçonné son existence.

 

L’enfant se croyait la seule petite fille au monde. Savait-elle seulement qu’elle était une petite fille ?

 

Elle n’était pas très jolie à cause de ses dents un peu écartées, de son nez un peu trop retroussé, mais elle avait la peau très blanche avec quelques taches de douceur, je veux dire de rousseur. Et sa petite personne commandée par des yeux gris, modestes mais très lumineux, vous faisait passer dans le corps, jusqu’à l’âme, une grande surprise qui arrivait du fond des temps.

 

Dans la rue, la seule de cette petite ville, l’enfant regardait parfois à droite et à gauche comme  si elle eût attendu de quelqu’un un léger salut de la main ou de la tête, un signe amical. Simple impression qu’elle donnait, sans le savoir, puisque rien ne pouvait venir, ni personne, dans ce village perdu et toujours prêt à s’évanouir.

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Comment s’était formée cette rue flottante ? Quels marins, avec l’aide de quels architectes, l’avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d’un gouffre de six mille mètres? Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu’elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d’ardoise,de tuile, ces humbles boutiques immuables? Et ce clocher très ajouré? Et ceci qui ne contenait que de l’eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garni de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson? 

Zone de Texte: Les premiers paragraphes d’unconte

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