neuf et la mine de crayon bien aiguisée. Ils sont tous fous, il n’ont pas l’air de se rendre compte. Pour moi, ce voyage en autobus est une catastrophe, une immense catastrophe. L’envie de dégueuler mon jus de carotte et ma gélule de foie de morue sur la banquette devant moi ne cesse de grandir dans mon corps et dans mon esprit, même que ça se précise. Je sens une houle permanente, Jonas dans la baleine, un jour de tempête.

 

Je suis un imposteur qui sera bientôt démasqué et recraché sur le rivage de la cour de récréation. Peut-être arriverai-je jusque dans l’école, mais rien n’est moins sûr. Jamais, je ne me suis fait d’illusion. Je suis parfaitement conscient de l’issue fatale de l’entreprise. La seule inconnue, c’est de savoir combien il faudra de temps avant que je ne sois découvert et lynché par la masse hostile de mes camarades. Je suis un monstre déguisé en écolier; j’ai la marque du diable imprimée sur le front.

 

Dans quelques minutes, monsieur Robert, le chauffeur, tournera rue Brodeur, passera devant la salle de bowling et stoppera en face de la grille de la cour de récréation, qui n’est rien d’autre qu’un champ de mines antipersonnel: oser le moindre déplacement sans être décapité relève du miracle ou de l’état de grâce avancé. Il faut soit se dématérialiser, soit marcher droit au milieu, comme un grand imbécile qui vient de gagner un poisson rouge à la foire. Et si le chanceux arrive jusqu’à la classe sans qu’on lui ait fracassé son bocal sur la gueule, c’est qu’il a des contacts à Lourdes. Je ne suis  pas rassuré.

               

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Assis tout seul au fond de l’autobus scolaire, je laisse ma tête tambouriner gentiment contre la vitre en regardant sautiller le paysage qui défile comme au cinéma quand la pellicule est pourrie. Dehors, pluie fine. Le ciel est tellement bas que ça donne envie de se pencher pour ramasser des cailloux. Je sais qu’au pluriel bijou, caillou, chou, genou, et hibou prennent un x à la fin. Je ne suis pas complètement idiot.

 

Quand l’autobus passe dans un trou, ma tête cogne alors tellement fort que les larmes me montent aux yeux. Mais ça ne change rien, je m’en fous puisque je fais une expérience pour m’assommer à petite dose. Pas tout d’un coup mais progressivement, sinon ça fait trop mal. L’objectif serait de perdre connaissance.

 

J’ai de bonnes raisons d’être un brin déprimé. Il suffit de faire un bilan rapide de mon passage dans le milieu scolaire jusqu’à ce jour pour que mon moral descende au rez-de-chaussée. L’école, ce n’est vraiment pas ma spécialité. Ça donne envie de se sauver par la porte de secours de l’autobus. Il suffirait d’attendre le moment propice. Par exemple, quand le chauffeur fait monter seize enfants de la famille Papageorges. J’aurais tout le temps nécessaire. J’écarte tout le monde. Je sors de l’engin côté cour puis disparais dans la campagne pour toujours. C’est ce que j’aurais de mieux à faire, mais je me sens lâche, incapable de bouger le petit doigt.

 

Premier jour d’école. Je n’arrive même pas à imaginer l’immensité du malentendu. Tout le monde est joyeux. Ça sent le sac d’écolier

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Septembre 1969, Léon Doré, entre en cinquième année à l’école Saint-Matthieu. Il a de bonnes raisons d’être un brin déprimé. L’école, ce n’est vraiment pas fait pour lui. Et, en plus, il y a Thibault, Lefebvre et Raton, le trio infernal qui s’est juré de lui casser la gueule.

 

Bruno Hébert livre ici un second roman qui sait traduire à merveille les désarrois d’un garçon de onze ans. Tout en faisant revivre une époque, celle des années 60, avec ses excès et ses utopies radicales, il brosse, avec infiniment d’esprit et de charme, le portrait intemporel d’un enfant qui ne trouve sa place nulle part.    

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