heureuse sous le ciel immense des prairies alors même que son cœur était resté accroché aux rives du Saint-Laurent.

 

Maybel apprit par courrier qu’elle héritait d’une filleule. Elle en fut, paraît-il, très émue. Le train m’apporta souvent de petits présents, acheminant en retour quelques dessins, puis des mots gentils. Mais les enfants se lassent vite des relations épistolaires. Ma marraine finit donc par occuper bien peu de place dans ma vie. Elle, par contre, savait tout de moi, grâce aux lettres de Florence.

 

Et puis, un jour, à seize ans, j’étais partie à sa rencontre. Ma déception amoureuse m’avait plongée dans un tel état d’hébétude que je fus étonnamment docile. À peine m’étais-je arrêtée au but du voyage. À la gare, mamie Florence me remit un paquet.

- Un brin de lecture, pour que la route paraisse moins longue, avait-elle lancé, comme si de rien n’était, alors même que son regard tentait de m’avertir que ce colis était précieux.

 

Le paquet contenait un cahier. Il resta posé sur mes genoux pendant des heures. Les paysages défilaient sans que je les voie. Un peu avant le début des Grands Lacs, le train avait fait un arrêt. Alors qu’il repartait, des passagers avaient traversé le couloir. Un homme s’était penché vers moi.

 

Ses cheveux, sa carrure, sa voix… Mon cri dut l’effrayer. Je ne sus jamais ce qu’il avait demandé. Il ressemblait trop au jeune instituteur qui m’avait mis le cœur en charpie. J’aurais voulu courir dans les bras de Florence, enfouir mon visage dans la chaleur de son cou et pleurer, encore et encore.

 

Mais Florence était déjà loin, alors j’ai ouvert le cahier…

           

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J’avais seize ans, j’étais amoureuse et je voulais mourir. Ma grand-mère Florence avait recueilli mes confidences et essuyé mes larmes, sans se moquer, sans juger, en hochant simplement la tête, son regard gris-bleu planté dans le mien comme une ancre m’empêchant de dériver. Les semaines avaient passé, mais pas la douleur. Un matin, plus exactement le 12 mai 1901, mamie Florence m’avait tendu un billet de train.

- Tiens, Marie. C’est de Maybel, ta marraine. Elle voudrait te connaître.

 

Je n’avais jamais rencontré ma marraine. Elle habitait quelque part au Québec, bien loin de nos prairies manitobaines. Un certain mystère l’entourait. Maman m’avait plus d’une fois raconté qu’à ma naissance mamie Florence avait poussé des cris de ravissement parce que j’avais, disait-elle, les mêmes yeux que Maybel, sa meilleure amie.

- C’est insensé, avait répliqué maman. Comment peux-tu affirmer qu’un nouveau-né a les mêmes yeux que cette Maybel que tu as connue si peu longtemps et il y a tant d’années ? Et puis, les yeux d’un bébé, ça change…

 

Les miens, pourtant, étaient restés pareils et mamie Florence avait continué de me comparer à Maybel, cette vieille amie à qui elle écrivait chaque semaine depuis plus d’un demi-siècle, alors qu’elle avait quitté Sainte-Cécile, dans les replis du Saint-Laurent, pour s’installer avec son jeune époux à Saint-Vital, au Manitoba.

- La petite a son énergie, sa pétillance, répétait Florence. Et ses yeux sont restés mauves! Je l’avais prédit.

 

Maman avait finalement suggéré, pour faire plaisir à sa mère, que cette lointaine Maybel devienne ma marraine. C’était une bien mince concession si l’on songe à tout ce que Florence avait enduré pour que sa petite famille grandisse

Zone de Texte: Le plaisir de lire

La Belle, c’est Maybel, jeune fille ardente et lumineuse qui vit dans une drôle de famille. Son père, Alban, gardien de phare solitaire, a épousé une ravissante Anglaise qui n’aimait pas la mer et s’est enfuie en abandonnant sa fille de deux ans.

La Bête, c’est William Grant. Affublé d’un masque étrange, il a débarqué un beau jour le long des berges du Saint-Laurent, avec son père l’Écossais, qui veut le soustraire au monde pour mieux le protéger. Maybel et William sont épris de liberté et de nature. Dans un pays de caps battus par une mer enragée, d’anses secrètes envahies par le tumulte des goélands et les hurlements des loups marins, dans un décor étrange et fabuleux, hanté par les fantômes mais protégé par les fées, ils vont se découvrir. Et s’aimer...

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Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

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