En cent ans, près de vingt-cinq millions d’Italiens quittèrent leur pays, les uns allant, vers la fin du siècle dernier, remplacer les esclaves nouvellement affranchis de l’Amérique du Sud, les autres déferlant sur l’Amérique du Nord.

 

Aujourd’hui environ deux cent mille Québécois et plus d’un million de Canadiens sont d’origine italienne.

 

« Je crois qu’il est de mon devoir d’attirer votre attention sur le fait que les Italiens sont bien connus pour être de mauvais colons (…) il semble malencontreux que cette classe d’immigrants soit amenée ici pour quelque travail que ce soit sauf pour le travail dans les mines (…) je crois que cette classe d’immigrants ne fera rien de bon pour notre pays. »

 

Voilà les propos outrageants vomis par le commissaire de l’Immigration de Winnipeg au début du siècle. En 1902, pas moins de 6000 Italiens s’échinaient à la construction des chemins de fer, partageant cette géhenne avec des Slaves et des Ukrainiens, afin de greffer une colonne vertébrale à un pachyderme déjà poussif et disloqué s’étirant du Pacifique à l’Atlantique.

 

Injustices et attitudes racistes se poursuivirent tout au long de l’histoire de l’immigration au Canada. Il suffit de se rappeler la taxe que durent payer les Chinois, au début du siècle, pour entrer au Canada, en plus des internements et spoliations subis par les Italiens et les Japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque ces découvertes s’ajoutent à la certitude que l’émigration n’existerait pas si elle ne profitait pas en premier lieu au pays d’accueil, l’indignation surgit et l’émigré devient parfois écrivain.

 

Le recueil hybride qui suit, trace l’itinéraire d’un enfant qui foula la gadoue avant la névasse.  

            

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Mon enfance échoua sur une de ces collines dénudées du Mezzogiorno, enclavé entre le dénuement et le mépris, où, régulièrement, les hommes étaient recrutés pour les guerres et l’émigration. Très tôt, je fus captivé autant par les récits de grand-père, relatant ses traversées transatlantiques du début du siècle, que par les exploits des martyrs de la patrie dont nous parlait le maître d’école jour après jour. Je n’acceptais pas cependant que, à côté du monolithe érigé à la mémoire des victimes du champs d’honneur, il n’y eût pas un monument, dix fois plus grand, en souvenir des disparus de l’émigration. 

 

Déçu par une Amérique anthropophage qui engloutissait des communautés entières sans aucune reconnaissance, je souhaitais qu’il y eût une guerre le plus tôt possible pour pouvoir trépasser à l’instar de ce patriote préalpin pendu par les Autrichiens en criant Viva l’Italia! Viva l’Italia! Viva l’It…! Comme lui, j’espérais ne pas avoir le temps de terminer le dernier mot, me doutant déjà qu’en ce domaine la banalité condamne à l’oubli. Dans le sud rural, conquis par le nord industriel, les cours d’histoire achevaient l’ignoble besogne en faisant de nous les cocardiers grotesques d’un pays fictif.

 

L’exode fut biblique. Les nombreuses maisons vides, où les émigrés avaient laissé pour seul ornement l’image d’un Sacré-Cœur sanguinolent, rappelaient les évacuations de la dernière guerre. Dans d’autres, les veuves blanches de l’émigration sublimaient leur besoin d’aimer à coup de messes, de cancans et de robes noires. À Lofondo où, au début des années cinquante, s’entassaient près de deux mille personnes, l’institutrice de première année se trouva une décennie plus tard devant un seul écolier.      

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Dans Le figuier enchanté, un recueil de récits paru en 1992 chez Boréal et qui lui a valu le Prix des arcades de Bologne, Marco Micone raconte avec une colère contenue l'humiliation que lui a fait subir un enseignant, qui le croyait idiot parce qu'il maîtrisait mal la langue de Shakespeare. Marco Micone passera quatre ans dans ce ghetto créé par l'impéritie des autorités scolaires et politiques québécoises du temps, «quatre années pénibles comme un interminable service militaire et duquel je suis sorti avec une connaissance passive de l'anglais», dit-il. Aussitôt hors de la classe, les jeunes passent en effet à l'italien. C'est pourtant dans ce milieu, où il fallait être un bon joueur de football pour être vraiment quelqu'un, qu'il découvre Gabrielle Roy.

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