Le théâtre québécois a connu sa première grande pièce en 1948 avec Ti-Coq de Gratien Gélinas. Marcel Dubé, avec sa pièce Un simple soldat, créée à la télévision en 1957, a ensuite permis au théâtre québécois de rejoindre un plus large public. Véritable drame contemporain, Un simple soldat met en scène des personnages qui, comme Ti-Coq, évoluent dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. La pièce met en scène la famille Latour; le fils, Joseph, un « bon à rien » qui accumule les échecs, a une fois de plus manqué à sa parole en ne remboursant pas une somme emprunté à son père.   

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QUATRIÈME ACTE

 

SCENE XX

JOSEPH, enfin debout : B’soir P’pa… B’soir p’pa.

Son père le regarde et ne répond pas.

 

JOSEPH: Tu pourrais me dire bonsoir le père! C’est vrai ! Je suis poli, moi! Tu pourrais être poli toi aussi!… Penses-tu que je suis surpris de te voir? Je pas surpris une miette!… Je savais que tu serais debout, je savais que tu m’attendrais… Je l’ai dit à Émile, tu peux lui demander; j’ai dit: Émile je te gage cent piastres que le père va m’attendre.

 

Éveillé par les voix, Armand paraît dans sa porte de chambre. Il fait de la lumière.

 

JOSEPH: Armand aussi, je le savais! Je savais que vous seriez pas capable de vous endormir avant que j’arrive. Je me suis pas trompé, je me suis pas trompé le père. On aurait dit que c’était tout arrangé d’avance. Ouais! Parce que vous devriez avoir hâte de savoir si j’allais apporter mes quarante piastres… Parlez! parlez, maudit !… Dites quelque chose ! Restez pas là, la bouche ouverte comme des poissons morts. Vous m’attendiez pas?

 

BERTHA, qui paraît à son tour dans sa porte de chambre : Qu’est-ce que t’as à crier comme ça, toi? As-tu perdu la boule? Veux-tu réveiller toute la rue?

 

JOSEPH: Toi, je t’ai pas adressé la parole, Bertha. Rentre dans ta chambre et dis pas un mot. Là, je suis en conférence avec le père et Armand.       

  

ARMAND: On parlera de tes affaires demain, Joseph. Il est trop tard pour discuter de ça, ce soir.

 

JOSEPH: Trouves-tu qu’il est trop tard, le père ? T’étais là, debout comme un brave, quand je suis rentré ! Trouves-tu qu’il est trop tard?

 

BERTHA: Armand a raison, va te coucher, espèce d’ivrogne.

 

JOSEPH: Certain qu’Armand a raison. Il a toujours eu raison le p’tit gars à sa mère ! (Il fonce en direction de Bertha.) Certain que je suis rien qu’un ivrogne! Mais j’ai pas d’ordres à recevoir de toi, la grosse Bertha. T’es pas ma mère ! Tu seras jamais une mère pour moi.

 

BERTHA: Je voudrais pas avoir traîné un voyou comme toi dans mon ventre !

 

JOSEPH: J’aime autant être un voyou, Bertha, et pouvoir me dire que ta fille Marguerite est pas ma vraie sœur.

 

BERTHA: Touche pas à Marguerite !

 

JOSEPH: Si c’était une bonne fille comme Fleurette, j’y toucherais pas, mais c’est pas une bonne fille… Je sis ce qu’elle est devenue Marguerite, tout le monde de la paroisse le sait, et si tu le sais pas toi, je peux te l’apprendre.

 

ARMAND: Marguerite est secrétaire dans une grosse compagnie, laisse-la tranquille.

 

JOSEPH: Si Marguerite est secrétaire, moi je suis premier ministre ! La vérité va sortir de la bouche d’un ivrogne, de la bouche d’un voyou, Bertha. En quatre ans, ta fille Marguerite a fait du chemin, Bertha. Ça lui a pris quatre ans mais elle a réussi. Elle a jamais été secrétaire de sa maudite vie par exemple ! Mais fille de vestiaire, ah ! Oui! Racoleuse dans un club ensuite, ah ! oui ! certain ! et puis maintenant, elle gagne sa vie comme putain dans un bordel.

 

BERTHA crie: Mets-le à la porte, Édouard mets-le à la porte.

 

JOSEPH: Pas dans un bordel de grand luxe! Mais dans ce qu’on trouve de plus « cheap » rue De Bullion.

 

ARMAND: Répète plus ça, Joseph, répète plus jamais ça!     

            

               

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