Il y a quelque chose de mal digéré au sujet de la beauté : tout le monde est d’accord pour dire que l’aspect extérieur a peu d’importance, que c’est l’âme qui compte, etc. Or, on continue à porter au pinacle les stars de l’apparence et à envoyer aux oubliettes les tronches de mon espèce.

 

Comme quoi les gens mentent. Je me demande s’ils en sont conscients. C’est cela qui m’énerve : l’idée qu’ils mentent sans le savoir.

 

J’ai envie de leur lancer en pleine figure : «  Jouez aux purs esprits si cela vous chante. Affirmez encore que vous ne jugez pas la gens sur leur mine, si cela vous amuse. Mais ne soyez pas dupes! »

 

Mon visage ressemble à une oreille. Il est concave avec d’absurdes boursouflures de cartilages qui, dans les meilleurs des cas, correspondent à des zones où l’on attend un nez ou une arcade sourcilière, mais qui, le plus souvent, ne correspondent à aucun relief facial connu.

 

À la place des yeux, je dispose de deux boutonnières flasques qui sont toujours en train de suppurer. Le blanc de mes globes oculaires est injecté de sang, comme ceux des méchants dans les littératures maoïstes. Des pupilles grisâtres y flottent, tels des poissons morts.

 

Ma tignasse évoque ces carpettes en acrylique qui ont l’air sales même quand on vient de les laver. Je me raserais certainement le crâne s’il n’était recouvert d’eczéma.

 

Par un reste de pitié pour mon entourage, j’ai songé à porter la barbe et la moustache. J’y ai renoncé, car cela ne m’eût pas dissimulé assez : en vérité, pour être présentable, il eût fallu que la barbe me pousse aussi sur le front et le nez.

 

Quant à mon expression, si c’en est une, je renvoie à Hugo parlant du bossu de Notre-Dame : « La grimace était son visage. »           

 

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La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c’était moi. À présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c’était moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle. Mon surnom arriva très vite. Je devais avoir six ans quand un gosse me cria, dans la cour : « Quasimodo ! » Fous de joie, les enfants reprirent en chœur : «  Quasimodo ! Quasimodo ! »

 

Pourtant, aucun d’entre eux n’avait jamais entendu parler de Victor Hugo. Mais le nom de Quasimodo était si bien trouvé qu’il suffisait de l’entendre pour comprendre.

On ne m’appela plus autrement.

 

Personne ne devrait être autorisé à parler de la beauté, à l’exception des horreurs. Je suis l’être le plus laid que j’aie rencontré : je considère donc que j’ai ce droit. C’est un tel privilège que je ne regrette pas mon sort.

 

Et puis, il y a une volupté à être hideux. Par exemple, nul n’a autant de plaisir que moi à se balader dans la rue : je scrute les visages des passants, à la recherche de cet instant sacré où j’entrerai dans leur champ de vision— j’adore leurs réactions, j’adore la terreur de l’un, la moue révulsée de l’autre, j’adore celui qui détourne le regard tant il est gêné, j’adore la fascination enfantine de ceux qui ne peuvent me lâcher des yeux.

 

Je voudrais leur crier : « Et encore, vous ne voyez que ma figure ! Si vous pouviez contempler mon corps, c’est alors que je vous ferais de l’effet. » 

            

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes

Épiphane Otos serait-il condamné par sa laideur à vivre exclu de la société des hommes et interdit d’amour? Devenu la star— paradoxale— d’une agence de top models, Épiphane sera tour à tour un martyr et bourreau, ambassadeur de la monstruosité internationale… et amoureux de la divine Éthel, une jeune comédienne émue par hideur.

 

Sur un thème éternel, la romancière d’Hygiène de l’assassin et des Catilinaires nous offre un conte cruel et drôle, à la fois distancié et tendre. 

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