Pourquoi les grands chats comme toi se douchent-ils alors que les petits se lèchent ? Pourquoi fais-tu toujours trop cuire le poulet ?

 

Derrière toutes ces interrogations, Delphine distinguait un monde de forêts giboyeuses, de chants d’oiseaux de grands galets ensoleillés, de valériane, de papyrus, et de sable chaud où rebondissaient des sauterelles vertes les meilleures.

 

Delphine se demandait comment elle avait pu vivre sans Edward. Avant Edward.

 

Il s’étira, ouvrit un oeil. La troisième paupière laissa apparaître une pupille d’un noir absolu tranchant sur un iris d’un vert très pâle moucheté de gris cendré et de champagne, ou ce jaune unique des vins du Jura. Il regarda Delphine avec bienveillance ; elle n’allait pas tarder à lui gratter le ventre, lui masser le dos, les pattes et lisser son museau de la pointe du nez jusqu’au oreilles. Elle compterait machinalement vingt-quatre vibrisses et lui dirait qu’il était le plus beau chat du monde.

 

Edward ne savait pas exactement ce qu’elle entendait par « beau », mais il savait que c’était amical et que sa maîtresse ne s’adressait à personne d’autre de cette manière. Quand il s’agissait de la beauté d’un vase ou d’un manteau, Delphine s’exclamait mais le ton était moins sensuel, moins chaud. Edward devait toutefois admettre que ses intonations était plus vibrantes quand il s’agissait d’un homme. Excitées, anxieuses, elles exprimaient l’affût, la chasse.   

            

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Elle s’était éveillée avant lui. Elle l’avait regardé puis elle avait refermé les yeux pour mieux sentir son ventre chaud contre le sien. Elle avait respiré, son odeur, juste au-dessous du cou, et s’était répété, comme tous les matins depuis leur rencontre, que ces moments de sérénité s’accordaient avec l’espoir et la naïveté de l’aube.

 

Delphine restait allongée sans bouger, refusant de tirer Edward de son sommeil profitant de son inconscience pour l’observer, pour se repaître de sa beauté, s’en délecter. Comme elle aimait l’interminable ligne qui fermait ses yeux, brodée de cils blonds aussi fins que les akènes des pissenlits fanés quand ils s’envolent dans les champs, comme elle aimait cette ligne qui cachait l’insondable mystère des grands yeux céladon; elle la reposait de la douce exaspération que cette énigme, précisément entretenait chez elle. Quand Edward plongeait son regard dans le sien, Delphine y voyait des sphinx souriants, désireux, et certains même pressés de lui poser leur question. « Pourquoi cours-tu ? Pourquoi fumes-tu ? Pourquoi as-tu peur de mourir ? Pourquoi vois-tu Pierre-Stéphane ? Pourquoi n’as-tu pas d’enfant ? Pourquoi aimes-tu les couverts en inox ? Pourquoi sommes-nous si différents ? Pourquoi n’as-tu pas une fourrure comme la mienne ?       

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Delphine aime les hommes, la photographie et son chat Edward. Celui-ci le lui rend bien. Doutant des choix amoureux de sa maîtresse, il décide de lui trouver un mari. Il connaît déjà l’amant qu’il destine à Delphine; un homme très bon, Sébastien Morin, l’a soigné lors d’une traversée vers la Nouvelle-France en 1670… Edward espère qu’il s’est comme lui, réincarné et qu’il habite aujourd’hui Paris. La tâche est ardue. Heureusement, Catherine, sorcière sous Henri IV lui a transmis un don : la télépathie. Edward n’a qu’à flairer un homme pour deviner ses intentions : aussi ne se méfie-t-il pas sans raison de James Anderson, un trop bel Américain qui rôde autour de la photographe. Edward aura besoin de tous ses talents pour faire le bonheur de cette Delphine adorée qui sent la chantilly, les feuilles d’un plant de tomates et la rose de Turquie. 

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Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

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