Ça fait un certain temps maintenant que je me connais, peut-être depuis la naissance et en tous cas depuis l’enfance, cette période où les hommes se connaissent le mieux, et j’ai survécu avec aplomb à cette autre période, celle qui suit l’enfance, et où la plupart des gens s’oublient complètement— la période qui commence plus ou moins à la fac et se poursuit dans l’âge adulte, culminant avec la vieillesse pour se terminer progressivement à l’approche de la mort, quand on était petit et qu’il ne reste que quelques mois, bien courts, pour refaire connaissance avec soi-même avant de mourir. C’est pour ça que personne ne prend les vieux aux sérieux. C’est pour ça que personne ne prend les enfants au sérieux, mais je  prends les enfants aux sérieux. J’en ai été un. C’est une des raisons pour lesquelles certains me croient fou.

 

Certains me croient fou et certains croient que je blague. Quand j’ai dit à Mrs. Marie que la seule personne qui m’ait dit grand chose récemment était Pogo, le personnage de BD, et que ce n’était même pas une personne mais un opossum, elle s’est mise à rire et m’a dit : - Par moments, Mr. Sears, je ne sais plus si vous blaguez ou pas.

Je lui ai dit :

- Je vous en prie, appelez-moi Hoover, j’aime mieux que l’on m’appelle par mon prénom.

- Fort bien, m’a t-elle dit. De toute manière, ce que nous désirons au fond, c’est que  vous partagiez vos sentiments avec nous. Que vous vous ouvriez. Pour établir le contact. Par moments, il est difficile de dire si vous blaguez ou pas, Mr. Sears.

Je lui ai dit :

- Mrs. Marie, je ne blague pas. C’est rieux ce que je vous dis. Elle a ri en se rendant compte que je blaguais.

- Merci, Mr. Sears, a-t-elle dit, merci de bien vouloir nous faire partager. Son rire avait quelque chose d’un chant, quelque chose comme les vocalises de la soprano dans Mme Butterfly, bien que l’Hôpital des Enfants ne soit pas un opéra, alors et que je ne sois pas encore aujourd’hui d’humeur à blaguer.                 

 

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Harold peut bien dire ce qu’il veut, mon corps ne mérite pas d’être criblé de coups de poignard. Ça été la première chose qu’il m’ait jamais dite, ce tout premier jour où je l’ai amené de l’hôpital à la maison. Évidemment, je savais qu’il ne fallait pas prendre en mauvaise part les choses qu’il disait. Il est fou. L’infirmière à l’hôpital m’a dit de ne pas prendre en mauvaise part ce que pourrait bien dire Harold parce qu’il souffre d’une psychose paranoïde aiguë et qu’on peut ne peut donc s’attendre à ce qu’il pense ce qu’il dit encore que j’aie connu bien des gens au cours de ma brève mais tumultueuse existence qui ne pensent pas ce qu’il disent et que moi-même d’ailleurs je dise bien des choses que je ne pense pas, sans que ce soit la raison pour laquelle certains me croient fou pour d’autres raisons.

 

Je suis allé chercher Harold à l’Hôpital des Enfants où il vivait déjà depuis quelques années, pour l’emmener chez moi dans le cadre du Programme d’Aide au Reclassement Résidentiel des Handicapés Mentaux auquel j’avais récemment accepté de participer, Harold étant l’un des quatre enfants que j’allais chercher pour les emmener vivre chez moi.

 

Oh, j’avais d’abord eu un entretien bien sûr ! L’infirmière responsable de l’aile Cinq-Ouest de l’Hôpital des Enfants, assistée de plusieurs travailleurs sociaux et d’une psychiatre pour enfants du nom de Mrs. Marie— ils portaient tous des cartes de plastique avec leur nom écrit dessus.—, m’avait posé des tas de questions concernant le présent et l’avenir et j’avais répondu à toutes sans même avoir besoin de consulter mes notes. Je me connais assez bien et toutes les questions portaient sur moi.            

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes

« À l’Hôpital des Enfants, l’autre jour, j’ai senti une vague silencieuse me tomber dessus, tiède et aussi légère qu’un petit garçon, et comme le spectacle de la rue qu’on habite après un long voyage à l’étranger, comme la première nuit où l’on est de retour dans son propre lit, je me suis senti chez moi avec ceux-là, ces enfants-là (…) c’est ma famille, ma vraie famille. J’ai besoin d’eux. Je suis eux. » « Mickey a onze ans. Il est schizophrène. Il ne chie pas dans ses chaussures. « Ralph chie dans ses chaussures. Il est blond avec des yeux très bleus et une trisomie 21, c’est-à-dire que c’est un retardé mental… 

« Tina est née avec les deux jambes tournées vers l’arrière… »    

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