Il détourna la tête pour regarder distraitement le paysage, en proie à une vague sensation de menace, qui n’était pas dépourvue d’attrait. Il se trouvait dans un pays étranger, où personne ne le connaissait, où il était le dépositaire unique de son histoire et le seul juge de sa propre importance. Il aurait voulu se refermer sur lui-même, assurer son étanchéité extérieures, et cette seule pensée alourdissait ses paupières.

 

- Der Zug wand sich geboden auf schmalem Pass, dit l’inconnu en repliant son journal. Stuckfinstere Tunnel kamen, und wenn es weider Tag wurde, taten weitlaufige Abgründe mit Orstschaften in der Tiefe sich auf…

- Désolé je ne comprends pas l’allemand, dit Jacques.

- Je vous en prie, les excuses me reviennent reprit l’autre dans un excellent français, avec l’assurance d’un homme peu enclin à s’amender. Vous regardiez au-dehors et je n’ai su résister au plaisir de la citation, d’autant que celle-ci décrit précisément le paysage qui défile sous nos yeux :  « Le train serpentait, sinueux, dans l’étroit défilé. Des tunnels noirs comme fours survenaient, et lorsque le jour reparaissait de vastes abîmes s’ouvraient, avec des bourgs dans leur profondeur, de nouveaux défilés suivaient, avec des restes de neige dans leurs crevasses et leurs fentes. » Avez-vous lu La Montagne magique ?

- Non, mais cette description est très appropriée, en effet.

- M. Bierens de Haan n’est pas n’importe qui ! dit la femme au tricot. Il pourrait réciter le livre entier par cœur. Il garde tout dans sa tête comme dans une boîte de conserve ! Pas n’importe qui, vous pouvez me croire sur parole, monsieur. 

 

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Le petit train rouge pagode s’ébranla sans heurts, fidèle à l’horaire, et quitta la gare de Landquart où il avait attendu en plein soleil la correspondance de Zurich. Son ombre ondula sur les cassis de la route qui longeait la voie ferrée, puis se redressa brusquement contre la paroi verticale de l’entrée d’une gorge. La lumière perdit son éclat doré, un souffle cru entra par les fenêtres baissées et Jacques émergea en frissonnant de son engourdissement nauséeux. S’il avait voyagé seul, il serait resté vingt-quatre heures à Zurich pour amortir le décalage horaire. Mais, avec Didier, dans les jambes, les choses n’étaient pas aussi simples. En tout cas, cette aventure lui aurait appris à quel point un gamin de douze ans pouvait être accaparent ! « Quant à ces deux oiseaux, pensa-t-il, je me demande bien ce qu’ils me veulent. »

 

Il observa à la dérobée le couple mal assorti qui lui faisait face. La femme était sans âge, rondelette les cheveux clairsemés. Elle tricotait d’un air si absent que l’activité de ses mains semblait échapper au contrôle de sa volonté. Son compagnon, à la mine sévère et au maintient de préfet de discipline à la retraite, portait une cravate et un veston de couleur sombre, en dépit de la saison. Le verre gauche de ses lunettes était d’une épaisseur insolite, et il collait son visage contre le journal pour le lire. Jacques aurait hésité à croire que tous deux voyageaient ensemble s’il ne les avait vus se parler à voix basse sur le quai de la gare de Landquart. Il avait d’ailleurs eu l’impression troublante que ce conciliabule le concernait, et son soupçon s’était confirmé lorsqu’ils avaient pris place en face de lui, alors que plusieurs sièges étaient inoccupés dans la voiture.

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Que se passe-t-il au Berghof, cet établissement qui était au début du siècle le sanatorium de La Montagne magique, et qui abrite aujourd’hui, à la fin de ce millénaire, un centre de recherche sur l’intelligence humaine ? Jacques, un jeune Canadien, s’y rend dans l’intention de faire la lumière sur l’accident cérébral qui, douze ans plus tôt, a terrassé son père, un neurochirurgien de réputation internationale. Se doute-t-il seulement que sa quête le mènera, de péripéties en rebondissements, à la découverte d’un phénomène qui menace l’avenir même de l’humanité ? 

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Zone de Texte: Premiers paragraphes

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