Tant de choses que Rose lui a dites au cours de leurs années mère/fille, sans jamais insister, comme si elle ne voulait pas peser sur son enfant, ne s’en reconnaissait pas le droit.

 

Discrète, c’est le mot qui la caractérisait. Prête à se retirer si elle avait le sentiment de déplaire, d’ennuyer. Ne cherchant jamais à faire acte d’autorité, à s’imposer, à prendre la place de quelqu’un.

 

« Maintenant encore, se dit Sophie, Maman a attendu que Papa soit mort pour tomber malade, comme si elle ne voulait pas le remplacer auprès de nous… »

La porte s’ouvre doucement et Patrick passe la tête.

- Ça va ? lâche-t-il en tâchant de dissimuler son angoisse.

Sophie sourit à son frère. Ça va, puisque la mère est toujours là. Mais pour combien de temps ? Le médecin les a informés : « Sa dépression est sévère et je ne parviens pas à l’en tirer. Autant qu’elle soit chez elle. Chez vous. Elle y est sûrement mieux qu’en clinique. Voulez-vous une garde ?- Non, a répondu Sophie. Je peux m’en charger. »

 

Il n’y a pas de soins à faire, seulement à attendre. Deux fois dans la journée, une infirmière vient faire la toilette de la malade, préparer ses médicaments pour les prochaines heures. Parfois installer une perfusion.

 

Sans avoir eu à le consulter, Sophie sait que Patrick préfère qu’il en soit ainsi. Pas d’étrangers entre eux. Toutefois, le jeune homme n’a pas la force de rester tout le temps dans la chambre, aux côtés de sa mère qui paraît insensible à sa présence.  Il s’échappe, va marcher au rez-de-chaussée, dans le jardin. Peut-être pleure-t-il.              

 

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Si pâle. Avec l’ossature à fleur de peau, à croire que la chair s’est mise à fondre, à s’estomper. Sophie contemple avidement ce visage de sa mère qu’elle n’a jamais vu ainsi et qui n’est là, elle peut le redouter, que pour peu de temps. Avant de s’absenter à jamais.

 

Mais aucune force au monde ne peut garder près de nous l’être que nous aimons ni lui conserver l’aspect qui nous est cher.

 

L’envie la traverse de prendre une photo. Rose, même émaciée, est si belle, sa figure tranquille auréolée de ses fins cheveux blonds épars sur l’oreiller.

 

Puis elle pense qu’il y a quelque chose d’indécent à photographier une malade, et aussi que sa mère répétait : « Enregistre dans ton cœur ce qui t’émeut ! Tous ces gens qui mitraillaient à qui mieux mieux un paysage ou un événement, en réalité ne les voient pas ni ne les verront jamais. Le papier n’en rend qu’une illusion. C’est maintenant, c’est tout de suite que la réalité doit s’imprimer en toi… »

 

Elle était sûre d’elle, dans ces moments-là, comme si elle se référait à une histoire vécue qu’elle aurait aimé transmettre à ses enfants. Une expérience d’amour. Mais les mots suffisent-ils ?

 

« Maman chérie », dit Sophie en se laissant tomber à genoux contre le lit. Elle prend entre les siennes la main douce, tiède, qui réagit légèrement à sa pression.                              

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Un foulard perdu, un homme qui le rapporte… Le coup de foudre, l’amour. Et voilà comment va basculer la vie de Rose, qui, la trentaine venue, se trouvait heureuse entre ses deux enfants et son mari. Mais Georges n’est pas plus libre qu’elle. Il a une femme, dépressive, et une fille, qui n’en a que davantage besoin de lui.

Comment, des années durant, cet homme et cette femme vont choisir une double fidélité, vivre entre l’absence et les rendez-vous furtifs une passion dont ils ne veulent pas faire payer le prix aux autres : c’est ce que nous raconte ici la romancière de La Maison de jade et d’Une femme heureuse.    

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