prouvait qu’il était le vice-président.

 

Puis il me montra une porte et m’annonça d’un air solennel que, derrière elle, il y avait monsieur Haneda, le président. Il allait de soi qu’il ne fallait pas songer à le rencontrer.

 

Enfin, il me guida jusqu’à une salle gigantesque dans laquelle travaillaient une quarantaine de personnes. Il me désigna ma place, qui était juste en face de celle de ma supérieure directe, mademoiselle Mori. Cette dernière était en réunion et me rejoindrait en début d’après-midi.

 

Monsieur Saito, me présenta brièvement à l’assemblée. Après quoi, il me demanda si j’aimais les défis. IL était clair que je n’avais pas le droit de répondre par la négative.

 

- Oui dis-je.

Ce fut le premier mot que je prononçai dans la compagnie. Jusque-là, je m’étais contentée d’incliner la tête.

 

Le « défi » que me proposa monsieur Saito consistait à accepter l’invitation d’un certain Adam Johnson à jouer au golf avec lui, le dimanche suivant. Il fallait que j’écrive une lettre en anglais à ce monsieur pour le lui signifier.

 

- Qui est Adam Johnson ? eus-je la sottise de demander.

Mon supérieur soupira avec exaspération et ne répondit pas. Était-il aberrant d’ignorer qui était monsieur Johnson, ou alors ma question était-elle indiscrète ? Je le sus jamais– et ne sus jamais qui était Adam Johnson.

 

L’exercice me parut facile. Je m’assis et écrivis une lettre cordiale : monsieur Saito se réjouissait à l’idée de jouer au golf le dimanche suivant avec monsieur Johnson  et lui envoyait ses amitiés. Je l’apportai à mon supérieur.

 

Monsieur Saito lut mon travail, poussa un petit cri méprisant et le déchira :

- Recommencez.

Je pensai que j’avais été trop aimable ou familière avec Adam Johnson et je rédigeai un texte froid et distant : monsieur Saito prenait acte de la décision de monsieur Johnson et conformément à ses volontés jouerait au golf avec lui.

                             

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Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n’étais la supérieure de personne.

 

On pourrait dire les choses autrement. J’étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques.

Donc, dans la compagnie Yumimoto, j’étais aux ordres de tout le monde.

 

Le 8 janvier 1990, l’ascenseur me cracha au dernier étage de l’immeuble Yumimoto. La fenêtre, au bout du hall, m’aspira comme l’eût fait le hublot brisé d’un avion. Loin, très loin, il y avait la ville– si loin que je doutais d’y avoir jamais mis les pieds.

 

Je ne songeai même pas qu’il eût fallu me présenter à la réception. En vérité, il n’y avait dans ma tête aucune pensée, rien que la fascination pour le vide, par la baie vitrée.

 

Une voix rauque finit par prononcer mon nom derrière moi. Je me retournai. Un homme d’une cinquantaine d’années, petit, maigre et laid, me regardait avec mécontentement.

 

- Pourquoi n’aviez-vous pas averti la réceptionniste de votre arrivée ? me demanda-t-il.

 

Je ne trouvai rien à répondre et ne répondis rien. J’inclinai la tête et les épaules, constatant qu’en une dizaine de minutes, sans avoir prononcé un seul mot, j’avais déjà produit une mauvaise impression, le jour de mon entrée dans la compagnie Yumimoto.

 

L’homme me dit qu’il s’appelait monsieur Saito. Il me conduisit à travers d’innombrables et immenses salles dans lesquelles il me présenta à des hordes de gens, dont j’oubliais les noms au fur et à mesure qu’il les énonçait.

 

Il m’introduisit ensuite dans le bureau où siégeait son supérieur, monsieur Omochi, qui était énorme et effrayant, ce qui      

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes

Au début des années 90, la narratrice est embauchée par Yumimoto, une puissante firme japonaise. Elle va découvrir à ses dépens l’implacable rigueur de l’autorité d’entreprise, en même temps que les codes de conduite, incompréhensibles au profane, qui gouvernent la vie sociale au pays du Soleil levant.

 

D’erreurs en maladresses et en échecs, commence alors pour elle, comme dans un mauvais rêve, la descente inexorable dans les degrés de la hiérarchie, jusqu’au rang de surveillante des toilettes, celui de l’humiliation dernière. Une course absurde vers l’abîme— image de la vie-, où l’humour percutant d’Amélie Nothomb fait mouche à chaque ligne.     

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