mais en même temps ça dégraisse tellement que ça déshumanise. Mais c’est ça l’univers vrai, ni bon ni mauvais, ni chair ni poisson, le monde tel qu’il se reflète dans les petits souliers vernis des condamnés à vivre ; et ça fait qu’il n’y a plus d’amoureux du martyre, il n’y a que des martyrs de l’amour.

 

Ça y est, je suis crinqué : c’est un bon jour. C’est à ça que je vois ça et ça ment pas. Je parle, je parle, je jacasse comme une pie et je me tombe moi-même sur les rognons, car les mystères de l’univers sont si vastes que je me sens un peu minable d’avoir une opinion là-dessus, mais je me demande pardon : je suis un rêve qui s’effiloche et j’aurai pas de suite, c’est ma défaite. C’est une pensée acide qui réveille mal mais qui fait vivre d’aplomb quand on est capable de se lever debout tout seul. Oh, je sens pas grand-chose encore parce que c’est trop profond, comme une foi noire en moi, mais je paye rien pour attendre, non, j’attends gratuitement, logé-nourri, c’est le cadeau que la vie me fait, et quand ça apparaîtra au grand jour, au ras de la peau et à fleur d’os je voudrai me déchirer les dernières chairs qui me resteront, c’est écrit. Mes mauvais pieds ont toujours ramassé toutes les maladies qui traînaient, jusqu’à ce que traîne la pire et que je saute dedans à pieds joints, et ce qui m’arrive est une chose logique, j’imagine, normale peut-être, mais c’est dommage de finir de même, je veux dire sans avoir vraiment commencé, sans avoir rien réussi de trop beau. On se sent un peu chien d’avoir tout pris sans rien donner et ça laisse un goût amer dans le cornet à dés, mais, pourtant, tous les espoirs étaient permis et les éléments réunis en planètes autour de mon soleil : j’ai eu une mère, un père et des grand-parents, avec frère et sœur à la clé, chien et tout, et j’ai aussi eu des amis, des vrais, des bons, des qui vous lâchent pas pour l’ombre d’un nuage. Hélas, il faut bien le dire : tout ça pour rien.

 

Avoir su, je me serais botté le derrière plus fort et j’aurais commencé à vivre avant aujourd’hui mais c’est trop tard et j’aurai vécu sans qualité, sans richesse.

                   

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C’est bien beau l’intelligence, mais il faut oublier qu’on sait tout, si on veut décoller ses paupières au saut du lit. Moi, quand je file un mauvais coton, j’ai quasiment le goût de m’excuser de savoir tout trop bien, de ne pas croire aux bonnes paroles rassurantes, de sentir grouiller la vermine sous les tapes dans le dos, mais c’est pas de ma faute : je suis un petit athée de naissance et l’eau sainte du baptême n’a pas déteint sur mon âme méchante, et puis j’ai toujours eu la nuque et les genoux raides. Je suis un jeune baveux, comme qui dirait, un crotté, un rebelle de centre d’achats, un grand sans-dessein qui n’aime rien. Au moins, je vis tout enroulé en escargot dans mon intérieur et je ne mords personne ; au fond, je pas si pire. Hors de moi, je vois qu’on vit dans la tristesse des choses, loin du temps où les romantiques aimaient mourir, parce que, aujourd’hui, on n’aimait plus mourir. La preuve : on se tire une balle dans la bouche, on se pend dans la cave, on s’ouvre les veines, on avale du poison ou on se jette dans le fleuve ou devant un train. C’est pas mourir, ça, c’est s’arrêter net de vivre ; c’est en finir une bonne foi pour toutes ; c’est pas traîner. On ne joue plus  avec le feu, mais on met fin au calvaire ; c’est pas pareil. On ne se lamente plus comme autrefois parce qu’on a perdu l’espoir d’être un jour compris. Pour être un romantique jusqu’à la pointe des cils, il faut fondre en larmes à tout bout de champ pour des enfantillages ; et il faut philosopher sur la cruauté du monde et les horreurs des siècles. Pour aimer mourir il faut se donner à un public sensible qui se soûle de feu sacré ; mais en nous offrant ainsi leur cœur, les romantiques soulèvent le nôtre. Heureusement que c’est fini, cette époque-là, et bien fini. Aujourd’hui, les malheureux sont seuls et désespérés ; c’est l’âge d’or de l’isolement et de la vérité crue qu’on ne peut plus supporter ni partager. Le froid glacial, c’est bon pour l’homme : c’est hygiénique,           

Zone de Texte: Le plaisir de lire

Du mercure sous la langue raconte les dernières semaines de Frédéric Langlois, un adolescent qui, arrivé prématurément terme de sa vie, fait le bilan de sa courte existence. Maudissant la compassion et la complaisance, le narrateur fustige l’espoir, l’amour, le bonheur, l’âme, la religion, c’est-à-dire toutes les illusions dont les hommes ont besoin pour adoucir leur condition tragique.           

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Zone de Texte: Premiers paragraphes du roman

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