Soudain, elle se rendit compte que le seul fait de savoir que le mal venait d’arriver à Bescos ne changeait en rien le cours de la vie. Des démons surviennent et repartent à tout moment, sans que les choses soient nécessairement perturbées par leur présence. Ils rôdent en permanence à travers le monde, parfois simplement pour telle ou telle âme, mais ils sont inconstants et généralement par le seul plaisir d’un combat qui en vaille la peine. Berta trouvait que Bescos ne présentait rien d’intéressant ou de particulier pour attirer plus d’une journée l’attention de qui que ce soit– encore moins celle d’un être aussi important et occupé qu’un messager des ténèbres.

 

Elle essaya de penser à autre chose, mais l’image de l’étranger ne lui sortait pas de la tête. Le ciel, si bleu tout à l’heure se chargeait de nuages.

 

« C’est normal, c’est toujours comme ça à cette époque de l’année, pensa-t-elle. Aucun rapport avec l’arrivée de l’étranger, juste une coïncidence. »

 

C’est alors qu’elle entendit le roulement lointain d’un coup de tonnerre, suivi de trois autres. C’était signe de pluie, bien sûr, mais peut-être que ce fracas, si elle se fiait aux anciennes traditions du village transposait la voix d’un Dieu courroucé se plaignant des hommes devenus indifférents à Sa présence.

 

« Peut-être que je dois faire quelque chose. Finalement, ce que j’attendais vient d’arriver. » Pendant quelques minutes elle se concentra sur tout ce qui se passait autour d’elle. Les nuages continuaient de s’amonceler au-dessus du village, mais on n’entendait plus aucun bruit. Elle ne croyait pas aux traditions et superstitions, surtout pas celles de Bescos, qui s’enracinaient dans l’antique civilisation celte qui avait jadis régné ici.

 

« Un coup de tonnerre n’est qu’un phénomène naturel. Si Dieu avait voulu parler aux hommes, Il ne l’aurait pas fait par des voies aussi indirectes. »

 

À peine cette pensée eut-elle effleuré son esprit que le craquement d’un éclair retentit, cette fois-ci tout près. Berta se leva, prit sa chaise et rentra chez elle avant que la pluie ne tombe. Mais, tout à coup, son cœur était oppressé par une peur qu’elle n’arrivait pas à comprendre.

Que faire ?

 

« Que l’étranger parte tout de suite », souhaita-t-elle. Elle était trop vieille pour pouvoir s’aider elle-même, pour aider son village, ou encore— surtout— le Seigneur tout-puissant, qui aurait choisi quelqu’un de plus jeune s’Il avait eu besoin d’un soutien.                    

                     

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Il y avait presque quinze ans que la vieille Berta s’asseyait tous les jours devant sa porte. Les habitants de Bescos connaissaient ce comportement habituel des personnes âgées : elles rêvent au passé, à la jeunesse, contemplent un monde qui ne leur appartient plus, cherchent un sujet de conversation avec les voisins.

 

Mais Berta avait une bonne raison d’être là. Et elle comprit que son attente avait pris fin ce matin-là, lorsqu’elle vit l’étranger gravir la pente raide, se diriger lentement vers le seul hôtel du village. Vêtements défraîchis, cheveux plus longs que la moyenne, une barbe de trois jours : il ne présentait pas comme elle l’avait souvent imaginé. Pourtant, il venait avec son ombre : le démon l’accompagnait.

 

« Mon mari avait raison, se dit-elle. Si je n’étais pas là, personne ne s’en serait aperçu. »

 

Donner un âge, ce n’était pas son fort. Entre quarante et cinquante ans, selon son estimation. « Un jeune », pensa-t-elle, avec cette manière d’évaluer propre au vieux. Elle se demanda combien de temps il resterait au village : pas très longtemps, sans doute, il ne porterait qu’un petit sac à dos. Probablement une seule nuit, avant de poursuivre son chemin vers un destin qu’elle ignorait et qui l’intéressait guère. Tout de mêmes toutes ces années, assise sur le seuil de sa maison, n’avaient pas été perdues, car elle avait repris à contempler la beauté des montagnes– à laquelle elle n’avait pas prêté attention pendant longtemps : elle y était née et ce paysage lui était familier.

 

Il entra dans l’hôtel comme prévu. Berta se dit que peut-être elle devait aller parler au curé de cette visite indésirable ; mais il ne l’écouterait pas, il dirait : « Vous les personnes âgées, vous vous faites des idées. »

 

« Bon maintenant, allons voir ce qui se passe. Un démon n’a pas besoin de beaucoup de temps pour faire des ravages— tels que tempêtes, tornades et avalanches, qui détruisent en quelques heures des arbres plantés il y a deux cents ans. »            

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Premiers paragraphes
du roman

Isolé dans une région montagneuse, et à demi abandonné, le paisible village de Bescos compte 281 habitants, des vieillards pour la plupart, dernière génération de fermiers et de bergers qui vivent comme hors du temps. Un mystérieux étranger y arrive un jour en compagnie d'un démon. Du moins est-ce l'intuition de la vieille Berta, la douairière du village, capable de communiquer avec l'esprit de son défunt mari et douée de prémonition, à la seule vue de l'homme. Par l'intermédiaire de Mlle Prym, une jeune employée de l'hôtel, qu'il entend soudoyer, ce dernier va adresser aux villageois une terrible proposition : s'ils assassinent un des leurs, ils se verront récompensés par un trésor de lingots d'or, qui leur permettra de retrouver la prospérité passée. Chantal Prym, poussée par son désir de changer de vie, se fera-t-elle sans scrupules la complice de l'étranger ? La communauté villageoise cédera-t-elle à la tentation en désignant un bouc émissaire ? Et, au-delà, l'étranger lui-même espère-t-il vraiment que le Mal l'emportera sur le Bien ?

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