Je veux dire, je n'ai pas fait que des numéros de routine. Il y a trois mois encore, je faisais équipe avec un lanceur de couteaux. Un gitan que tout le monde appelait Bobby. Il avait un succès fou à lancer des poignards sur sa nièce, une très belle fille du nom de Sally qu'il avait ramenée des pays de l'est. Je faisais le clown autour d'eux pendant que les couteaux volaient. Un numéro qui marchait bien jusqu' à ce qu'un soir, à Oakland en Californie, tout s'arrête ! Un cri étouffé est descendu des gradins et la foule s'est levée brusquement. J'ai mal juste à y penser.
La gare la gare est à peut près vide à cette heure et j'ai l'impression d'être sous un chapiteau. Des hommes vont et viennent, mettent tout en place pour la première représentation. Je pense souvent au cirque. J'imagine le spectacle idéal avec sa musique, sa magie, ses animaux, ses mimes et ses acrobates. J'échafaude de grands numéros. Mais à partir d'aujourd'hui, je vais devoir me contenter d'y rêver. Si je suis parti de Chicago, c'est pour me faire oublier. Depuis que j'ai mis les pieds dans ce train pourtant, j'ai l'impression qu'on m'observe, qu'on me suit. Il y avait un type au regard sombre sur le quai de la gare. Ce n'était pas Bobby, mais il lui ressemblait.
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Je suis arrivé par le train de six heures, celui en provenance de Chicago. Montréal dort toujours et je me demande ce que je fais dans cette ville. Il y a trois jours, je donnais mon numéro pour la dernière fois chez Barnum and Bailey; un tour de piste sans prétention avec un éléphant. Pendant que des techniciens démontaient la cage aux lions et préparaient le prochain numéro, je faisait une petite virée avec ce gros animal qui s'appelle Lucky... tout ça en jouant de la flûte. C'est une sorte de farandole, mais l'instrument que j'utilise n'a rien à voir avec une flûte : des bouts de tuyaux soudés ensemble auxquels on a fixé des cordes de violons et une table de résonance. Il suffit de parler dedans et ça fait de la musique.
Je dis que je ne sais pas ce que je fais ici, mais au fond, je le sais. J'ai une sœur qui habite par là, quelque part. Une demi- sœur, plutôt. j'ai perdu sa trace depuis un moment. Je ne sais pas où elle se trouve ni ce qu'elle fait. Elle a vingt-neuf ou trente ans. Elle est probablement incrustée dans la banlieue. Elle doit avoir des enfants.
Ça n'a pas toujours été comme ça, au cirque. |
Hugo est de retour à Montréal. Dix ans sans voir Marthe, sa demi-sœur. Après cette absence, il se demande si elle est mariée, si elle a des enfants et, surtout, si elle acceptera de l'aider. |
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