Je rage et suis le seul à le savoir. Un boxeur qui s'épuise contre son ombre et dans le ventre d'un gymnase désert. Le gymnase, c'est ma voiture. Le match, c'est avec ma mémoire ou, plutôt, contre ma mémoire, à l'éparpiller pour ainsi dire, à la secouer, à l'effilocher qu'il se joue.

Je rage contre tout. Ma faiblesse, d'abord. Mon incapacité à refuser les invitations.

- On ne vous laissera pas partir comme ça, Monsieur Lafontaine. Vous prendrez bien le verre de l'amitié avec nous? Vous vous  souvenez, je vous
en avais parlé ?

 

Suffit que l'on s'intéresse à moi pour que j'accepte de m'attarder. Ma peur chronique de décevoir. Les reproches d'Andrée ne revienne : "Apprends à refuser, Manuel. Arrête d'avoir peur que les gens ne t'aiment plus." Je m'ébroue, je réplique que... que je suis trop gentil.

 

- Les bénévoles de la biblioth

que ont préparé quelques sandwiches.

 
Deux femmes apportent de grands plateaux, des crudités, un gâteau. Elles attendaient une armée.

 

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Les yeux me brûlent. À force de vriller la pluie, de fixer le miroir de la route. Le jaune des phares se perd dans la nuit. Sur le tableau de bord, le bleu électrique, le rouge phosphorescent, le blanc stellaire veillent. Je roule à cent kilomètres-heure. Le cadran lumineux me l'indique. Les diverses aiguilles insistent : tout va bien. J'ai assez d'essence pour me rendre jusqu'au bout de ma course si je le veux, la batterie a toute sa force, le ventilateur pourrait souffler pendant des heures, le moteur ronronne. Tout cela devrait m'apaiser. Pourtant, je ne suis pas tranquille. Au lieu de chercher un gîte, je m'entête à continuer, chiffonné, les yeux dans l'huile sale.

Je voudrais mordre la route. Elle s'évade, devient la vague idée d'un itinéraire. Je roule par instinct. Je harcèle les boutons de la radio à la recherche d'une musique pour grogner avec elle. En vain. Je ne désire peut-être pas me calmer, au fond. Je deviens cette boule de feu dans la nuit ruisselante, roulant sur l'autoroute 20, entre Rivière-du-Loup, que j'ai fuie en vitesse, et, bientôt, La Pocatière. Je ne
cherche même pas la ville, le village, le point mort où m'arrêter. Je le ferai quand je n'en pourrai plus.

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

Longtemps, j'ai pensé que la vie que j'avais choisie n'entretenait que peu de rapports avec celle de mon père. Je ne voyais pas ce que nous aurions pu échanger. J'avais la jeunesse et la prétention de n'avoir rien à apprendre.

Je croyais le connaître, parce que je savais de larges pans de son existence. Il faut dire que je me trompe souvent.

Aujourd'hui, je pars à sa découverte. Lui, un homme simple, un héros de l'ombre, un de ceux dont on ne lit pas le nom dans les journaux...

Zone de Texte: Romans du Québec

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