Jamais on ne pourrait imaginer le plus petit des désordre pileux sous ces chemises finement rayées: juste un poitrail de marbre blanc, prêt pour l'embaumeur. Un poitrail qu'aucun respir, aucun soupir le soulèvera plus jamais.

Non. Elle s'égare encore. Elle avait fixé le torse de sa mère pendant une éternité pour lui intimer l'ordre muet de rester là, immobile, pour lui interdire de se soulever et de tout recommencer. Elle hésitait seulement à déterminer si elle était demeurée là, terrifiée, ou si elle avait réussi à terrifier le corps de sa mère.

Elle sourit: il fallait
qu'elle soit folle pour croire pareille aberration, rien ne terrifiait jamais Yseult Marchesseault. Rien. Et surtout pas sa fille, cette pauvre chose incapable d'exister par elle-même.

 

-Je peux m'asseoir ?

Qui est cet homme ? Ce sourire plein de dents, parfait, irréprochable. Il doit même avoir bonne haleine. La chemise est blanche finement lignée de rose, la cravate...

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Elle était morte. Sa mère était morte et elle n'en avait rien su. Pire, elle n'avait rien senti, rien deviné, pas la plus infime intuition. Alors qu'elle aurait été prête à jurer que, d'où que ce soit dans le monde, elle aurait pu sentir l'emprise se relâcher. Comme si la lune, d'un coup, desserrait son attraction sur la mère et que les eaux, soulagées, se relâchaient et inondaient le continent. Non, aucun soulagement, aucune altération

Elle aurait donc jurer pour rien. (“Moi vivante, tu n'as jamais été douée, pourquoi ça te prendrait à ma
mort?”) Elle entend d'ici sa mère ricaner. L'aurait-elle seulement dit? Elle se serait contentée de le penser, avec ce sourire inimitable.

Non, elle ne veut même pas se rappeler ses yeux. Elle ferme les siens très fort un instant, puis elle lève la tête: la cafétéria des employés choyés de la société Napa est bondée. Elle a l'impression étrange d'y être pour la première fois de sa vie, de ne rien reconnaître. Beaucoup de complets-veston sombres, des cravates sobres sur des chemises qu'on s'attend à voir craquer tellement elles sont impeccablement
amidonnées.

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

Dès les premières lignes, Le Poids des ombres nous impose une lecture quasi compulsive tant est solide l'intrigue, maîtrisé le style de la narration et cohérente la stature des personnages.

[...] Ce qui fait la force de ce roman, c'est la justesse de ton du dialogue narratrice-personnage; l'action intérieure jaillit comme un torrent dont le débit précipité et la clameur sourde rebondissent de situations en situations, en bousculant les fantômes/ conditionnements de la mémoire.

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