Voilà donc comment j'ai rencontré Régina.

Elle s'est levée d'un bond. Elle était toute petite. Son nez en trompette arrivait à la hauteur de mon nombril. Elle aurait dû se hisser sur la pointe des pieds pour me mordre la pomme d'Adam, comme l'avait fait Lisette, un jour, dans l'ardeur de notre unique ébat. Elle s'est plutôt faufilée entre mon ventre et le chambranle. Ce fût mon premier contact physique avec elle.

À force de contenir ma vessie, j'étais tout contracté. J'ai ouvert le robinet en quête d'inspiration. Quelques gouttes
sont tombées. Damnée prostate. J'ai remonté ma fermeture éclair avec dépit et actionné la chasse. J'ai longuement contemplé le maelström au fond de la cuvette. Je me suis dit que ce serait bien commode de pouvoir expulser les idées noires aussi facilement.

 

Mussolini m'avait viré de l'Organisation avant Noël. Ça lui avait déchiré le coeur. Il avait donné des coups de pied dans les pneus de sa Bentley en m'annonçant la nouvelle. Un autre client venait de l'appeler sur son cellulaire, m'avait-il dit. Une autre annulation.

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Quand j'ai rencontré Régina, je n'avais pas tué depuis longtemps. Sauf papa, bien sûr. Mais ce n'est pas la même chose. Elle - Régina O'Connell - frottait à quatre pattes le plancher des toilettes. Elle portait l'uniforme bleu électrique des employées d'entretien. Ses omoplates saillaient sous son chemisier: les muscles de son dos ondoyaient comme les drapeaux à la Saint-Jean. La pièce sentait l'urine et l'eau de Javel. Adossé au cadre de porte, je l'observais en silence. Sa tête était hérissée de mèches rouge sang. Des faux cils ombrageaient ses joues.

Avec
le temps, j'avais appris à me fondre dans le paysage pour éviter à mes cibles le tracas de faire quelque chose — crier, par exemple, ou me lancer un cendrier - avant que je les liquide. L'expérience ne suffit pas. Il y a la jeunesse, aussi. Je ne l'avais plus. J'avais franchi le cap des cinquante ans sans faire naufrage. Mais depuis, je ne respirais plus, je râlais. Régina ne me voyait pas, elle m'entendait. Elle a tourné vers moi son visage tacheté de son, un point d'interrogation dans chaque oeil.

- J'ai envie de pisser, ai-je expliqué.

-Bon sang, visez juste!

Zone de Texte: Le plaisir de lire
Zone de Texte: Les premiers paragraphes du roman

Quand j'ai rencontré Régina, je n'avais pas tué depuis longtemps. Sauf papa, bien sûr. Mais ce n'est pas la même chose. Ce jour-là, papa s'est assoupi avant le souper. J'ai allumé un cigare et j'ai serré ma bouche pleine de fumée autour de ses grosses narines vérolés. Je lui ai verrouillé la mâchoire. Il s'est étouffé pour de bon. J'ai ouvert la fenêtre pour aérer. Des rafales hargneuses, chargées de gaz d'échappement, ont envahi la chambre...  J'ai fait mine de gifler le voisin de papa qui me traitait d'assassin, et suis sorti aussi sec.

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